Le film, un extrait ou la bande-annonce
La presse en parle

Un morceau de bois brisé, imbibé d’eau et couvert d’une peinture bleue qui s’écaille, sur lequel on devine quelques inscriptions et la courbure caractéristique d’un voilier. Les premières images d’Atalaya évoquent d’emblée Gerry Roufs, disparu en mer en janvier 1997 lors du Vendée Globe. La voix de la réalisatrice, Emma Roufs, ramène cependant ce fait divers à une réalité personnelle qui tend à défaire le fantasme médiatique du sportif. La bravoure et la témérité du navigateur poursuivant contre vents et marées son rêve d’aventurier, dans l’une des épreuves sportives les plus dangereuses qui soient, se heurtent à l’incompréhension de sa fille qui aurait aimé le retenir au rivage. La colère et l’incompréhension, deux étapes du processus de deuil, se confondent alors pour venir ébranler une figure quasi mythologique et la ramener à la réalité des survivants et à la souffrance provoquée par ces valeurs tant chéries des médias, mais profondément égoïstes.

« Tu as pris le large et on ne t’a jamais revu » dit-elle, exprimant la tension insoluble entre le mythe et le père qui trouve un écho dans la nature double des archives. D’une part, il y a les couleurs délavées de la télévision, qui annonçait en 1997 la disparition et documentait l’histoire médiatisée de cette tragédie (comme en témoigne le documentaire Gerry Roufs - Toujours vivant produit par Radio-Canada Sports en 2020) ; d’autre part, et c’est le versant qu’incarne la parole d’Emma Roufs, l’œuvre adopte la texture du film de famille. Gerry Roufs y apparaît dans un quotidien loin de son bateau, mais plus important encore, elle propose la rencontre entre la voix de sa fille et les mots dictés par sa compagne dans le livre Une Atalaya pour Gerry Roufs paru en 2014. C’est ainsi que le film, bien qu’attaché à une histoire hautement subjective, avec une présence parfois envahissante de la voix off, devient plus largement une réflexion sur la mort et la résistance de ceux qui la traversent. On prend alors la caméra et la parole pour substituer à la dépouille perdue en mer quelques images, quelques phrases, un souvenir.

Dans cet entrelacement de temporalités, propre d’un deuil qui ne parvient pas à faire fi du passé, les images numériques, vidéo et Super 8 se superposent comme autant de couches qui rendent le temps du film indéterminé. Ce dernier n’a de cesse de poser la même question, avec une redondance obsessionnelle : que faire lorsqu’il ne reste de notre histoire individuelle que les images d’un avion de l’armée chilienne repérant une coque retournée au large de ses rives ? Atalaya est la réponse fragile et pleine d’incertitudes à ce deuil impossible. Emma Roufs entreprend, comme Gerry, un voyage pour essayer de récoler les morceaux d’une mémoire qui semble ne plus lui appartenir. Agitée par les ressacs, une figure fantomatique nous poursuit dans les albums photo et jusqu’au large d’une île où l’on espère voir la lumière d’un phare pour accepter, ne serait-ce qu’un peu, l’inacceptable. (Samy Benammar)

Panorama Cinéma

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