Publié le
5 octobre 2020
Analyse, critique ou billet de blog de l'auteur

FiLms Québécois

En octobre 1970, il y a tout juste 50 ans, le Québec connaissait la plus grave crise politique de son histoire contemporaine. Deux cellules du Front de Libération du Québec (FLQ), une organisation qui veut instaurer l’indépendance de la province canadienne par la lutte armée, enlèvent deux personnalités. Exagérant la menace, le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau (le père de l’actuel Premier Ministre), décrète l’état d’urgence, déploie l’armée dans les rues de Montréal et fait arrêter arbitrairement près de 500 personnes suspectés (à tort) d’être en lien avec les ravisseurs. En riposte, les felquistes tuent un de leur otage. Le second est libéré, après négociations, début décembre.

Dans un pays peu habitué à la violence politique, ces évènements ont profondément marqué plusieurs générations. A commencer par les cinéastes qui une douzaine d’années plus tôt avaient fondé le cinéma québécois à l’ONF. Dès 1963, année de fondation du FLQ, un des ses pionniers du 7eme art, Claude Jutra, réalise un des ses plus grands films, A tout Prendre ; dans cette œuvre largement autobiographique, le FLQ n’est pas directement évoqué mais pour la première fois devant un caméra, apparait un immense « Québec Libre » peint sur un mur. L’année suivante, Gilles Groulx, un autre pilier de cette cinématographie naissante, signe le remarquable Le Chat dans le sac qui évoque explicitement les premiers attentats du FLQ.

En 1965, c’est Jean-Pierre Lefebvre, autre figure marquante, qui réalise Le Révolutionnaire qui, sans jamais citer le FLQ, se moque gentiment des partisans de la lute armée. Un peu avant les événement d’octobre 1970, Jean-Claude Labrecque capte avec son compère Jean-Pierre Masse (en 1967, ce dernier avait signé FLQ, un court documentaire où s’exprimaient les fondateurs du groupe, tout juste sortis de prison) La Nuit de la poésie où plusieurs poètes demandent la libération de membres du FLQ emprisonnés.

Au cours de l’été 1970, Denys Arcand qui vient d’être censuré pour son documentaire engagé On est au coton, dépose à l’ONF un projet intitulé Les Terroristes présenté comme une « étude cinématographique sur le terrorisme québécois ». Inutile de préciser que les événements d’octobre 1970 empêcheront ce projet d’aboutir. Par contre, le traumatisme déclenche dans les années qui suivent une série de films remarquables. C’est, côté documentaire, sans surprise l’ONF qui dégaine en premier. L’organisme fédéral qui, depuis sa fondation en 1939, documente quasi en direct l’histoire du Canada demande au réalisateur anglo-québécois Robin Spry de tourner deux films sur les événements d’octobre 1970. Le premier s’intitule Action, le second Réaction. La première fiction, peu intéressante, sort dès 1974 et connaît le succès : Bingo de Jean-Claude Lord. Elle est suivie par un chef d’œuvre, Les Ordres signé par Michel Brault, autre fondateur de ce cinéma ; cette remarquable fiction documentée se focalise pour les dénoncer sur les arrestations qui suivent les enlèvements. Le film est sélectionné au Festival de Cannes et devient la première œuvre québécoise à y être primée. Dix ans plus tard, c’est Jean-Claude Labrecque qui pour un temps est passé à la fiction qui tourne Les Années de rêves, œuvre sympathique et nostalgique qui ne retrouve toutefois pas la puissance et la rigueur de son précédent long-métrage Les Vautours.

Il faudra encore attendre une dizaine d’années supplémentaires pour qu’une nouvelle génération de cinéastes prenne le relais. Côté documentaire, c’est Jean-Daniel Lafond qui, dans La Liberté en colère, réunit et fait se confronter trois anciens activistes ayant pris des chemins différents après la disparition du FLQ en 1972. Toujours en 1994, Pierre Falardeau, nous offre l’inoubliable Octobre ; cette autre fiction documentée basée sur les mémoires de Francis Simard, l’un des ravisseurs, raconte par le menu l’enlèvement, la séquestration et les conditions de la mort de l’otage. Le film, comme la plupart de ceux tournés par Falardeau, provoque des polémiques virulentes au Québec et au Canada.

Au début du XXIème siècle, l’engouement pour cette page d’histoire semble définitivement retombé. Mais comme ce passé ne passe décidément pas, l’intérêt se manifeste de nouveau au début des années 2010. Ce sont, tout d’abord, des courts métrages de fiction indépendants qui voient le jour ; ils sont signés Vincent Audet-Naudet (La Rafle) et Benjamin Tessier (Le Camarade et Les Gars du Front). Plus ambitieux mais pas totalement abouti est le long métrage de fiction d’Alain Chartrand, La Maison du pêcheur, qui raconte comment un an avant les événements d’octobre, les quatre membres d’une des deux cellules se sont rencontrés à Percé. Comme Le Camarade cité plus haut, Corbo de Mathieu Denis qui prend l’affiche en 2015 s’attache avec beaucoup de sensibilité au destin tragique de Jean Corbo, jeune felquiste de 17 ans, tué par la bombe qu’il s’apprêtait à déposer (les actions du FLQ provoqueront entre 1963 et 1972 la mort de neuf personnes dont trois membres du FLQ). Enfin, à l’occasion de ce cinquantième anniversaire, l’ONF produit Les Rose de Francis Rose qui raconte le destin de Paul et Jacques Rose, deux éminentes figures du FLQ.

Dans ce trop court article, je n’ai parlé que des films centrés principalement sur le FLQ. En ajoutant toutes les oeuvres qui évoquent cette crise d’octobre 70 ou, beaucoup plus rarement d’autres moments liés aux actions de ce groupe, j’ai dénombré au moins 75 films dont les deux-tiers sont des documentaires. Aucun autre évènement de l’histoire du Québec n’a suscité autant de créations cinématographiques. Cela méritait bien un article.

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