Entrevue de Mon cinéma québécois en France

Toujours sans filet : entrevue avec Pierre-Luc Brillant, comédien et musicien.

réalisée par Pierre Audebert au festival 48 images seconde de Florac

Est-ce le fait d'avoir plusieurs casquettes ou simplement le goût de l'humain, ce qui est certain en tout cas c'est que Pierre-Luc est un chic type, le contraire de l'artiste égo-centré - même si ce cliché convient décidément mieux à certains comédiens français qu'à leurs homologues québécois. Entendez par là, quelqu'un de disponible, de généreux, une silhouette chevaleresque. Il fallait le voir lever le coude dans les after avec le dernier carré des festivaliers, toujours avec élégance, toujours d'attaque pour un nouvel échange. Un oiseau de nuit tout aussi éclairé en plein jour et qui aura profité des moindres instants de ce séjour lozérien sans jamais se départir de son grand professionnalisme. Question de rythme, on n'est pas musicien pour rien, habitué de la scène comme des huis-clos les plus risqués. Une capacité à se glisser dans la peau des autres comme de trouver sa place, son Nid bien à lui et qui témoigne d'une grande humanité.

Que vous l'écoutiez en concert ou en CD ou l'admiriez sur grand écran - si vous avez été CRAZY au moins une fois, vous n'aurez pas oublié Raymond, le grand frère rock'n roll -, avec Pierre Luc Brillant, on passe toujours un beau moment. Alors qu'il s'en vient nous présenter deux films très réussis et surtout, deux beaux rôles, l'entrevue qui suit se met donc au diapason de cette carrière foisonnante face à ce faux dilettante totalement dévoué à son art.

Te considères-tu plutôt comme un musicien, un comédien ou l’un autant que l’autre ?

Je dirais que pour moi les deux sont indissociables. J’ai commencé à faire de la musique en même temps que j’ai débuté au cinéma. J’étais dans une école où très tôt on se spécialisait en musique. En même temps je décrochais un premier rôle dans un Conte pour tous de Roch Demers. À partir de là, ça s’est enchaîné mais j’ai toujours vécu ma passion musicale en même temps.

Puisque tu fais partie de cette génération de jeunes acteurs débarqués dans le métier grâce à la série des Contes pour tous, comment s'est déroulée cette première expérience sur Tirelire, combines et compagnie réalisé en 1992 par Jean Baudry ? Je crois que tu avais environ treize ans…

Treize ou quatorze… Je suis né en 78, en janvier, faudrait calculer (rire) j’en garde un souvenir tellement indélébile que je fais encore ça aujourd’hui ! J’ai attrapé le virus. Mais pour mes parents, ce n’était pas vraiment une option de devenir acteur. J’avais fait comme une pause dans mes études et pour eux, il était primordial que j’étudie. En tout cas, ça m’a donné le goût des plateaux de tournage. C’est drôle parce ça fait quand même 26 ans et je croise encore des gens de ce plateau là. On voit bien le temps qui passe, on se voit vieillir. Il y avait sans doute quelque chose en moi qui se devait de faire acteur. Ça dure encore aujourd’hui et c’est tant mieux, parce que rendu à la quarantaine, je serai à la rue si je ne pouvais plus faire ce métier.

dans Tirelire Combines & Cie (Jean Beaudry, 1992

Durant ces mêmes années, tu faisais aussi tes classes à la télévision. Pour toi à l'époque c'était aussi stimulant que le grand écran ?

La télévision a été stimulante à un autre point de vue parce qu’elle m’a permis de beaucoup jouer. Il faut savoir que dans les années 90, beaucoup moins de films se tournaient au Québec, et donc moins de films aussi avec des personnages qui avaient mon âge à cette époque. Donc la télévision était un « mal nécessaire », quelque chose qui m’a permis d’apprendre et de parfaire mon expérience. Sauf qu’à l’époque on tournait à trois caméras, ce qui ne se fait plus du tout aujourd’hui. Donc j’ai appris sur les lumières, à jouer le mieux possible des textes merdiques (éclate de rire). Bon ce n’était pas toujours le cas, mais c’est vrai qu’il y a bien des choses dans lesquelles j’ai joué qui ne se trouvent plus aujourd’hui. Ça n’intéressait même pas les archives… (rires)

Très jeune, tu joues déjà les bad guys. Par exemple, cinq ans plus tard tu es Bernard Picard (Pierre-Luc se marre), un hockeyeur agressif dans Matusalem 2 : le dernier des Beauchesne, un drôle de mélange entre les Goonies et Pirate des caraïbes (qui ne sera tourné que 6 ans plus tard). Tu as un penchant pour les méchants ? Est-ce que c'est aussi lié à ton grand gabarit ?

Non, c’est simplement que les personnages de méchants collent plus à la peau. Dans le premier déjà, je jouais un garçon de bonne famille et pareil à la télévision. Mais c’est vrai qu’il y a eu cet épisode là sur un film d’ailleurs un peu nébuleux. (rire) à la même époque, j’avais fait une super série qui s’appelait Les orphelins de Duplessis sur les orphelinats des années 50 où on enfermait carrément les orphelins dans des hôpitaux psychiatriques. J’avais joué un de ces enfants qui au sortir de l’adolescence ne savaient ni lire, ni écrire, ni compter. Ils ne connaissaient rien du monde extérieur. Ce rôle là m’a beaucoup marqué et m’a surtout initié à un jeu plus « sérieux », où ce n’est plus simplement un enfant qui joue l’enfant. C’est aussi ce qui m’a définitivement voué à la caméra parce que j’ai eu d’énormes retours sur ce personnage là. Malheureusement ou heureusement, comme j’en devais une à mes parents (rire)… J’étais d’une famille de quatre enfants pour qui les études étaient très importantes – donc j’ai décidé de poursuivre mes études musicales en guitare classique au Conservatoire. Ce qui fait que j’ai très peu joué à cette époque là, j’ai mis ça « en hold » ( en veilleuse ) comme on dit en québécois. J’ai fait ensuite trois ans de philosophie à l’université. Je pensais alors que j’étais fini pour ce métier, jusqu’à ce que je réussisse l’audition pour le film C.R.A.Z.Y. On connaît la suite...

dans Matusalem II : le dernier des Beauchesne (Roger Cantin, 1997)

J’en arrivais là, même si avant tu as travaillé avec Jean Beaudin, un réalisateur assez apprécié au Québec… Et puis c'est Raymond, le grand frère un peu weird mais viril de C.R.A.Z.Y qui te vaut une nomination aux Jutras. Quels rapports entretenais-tu avec Marc André Grondin et Jean-Marc Vallée ?

(Hébété) Jean Beaudin… C’est drôle, j’avais refoulé ce film là (rire ) (il s’agit de Souvenirs intimes, 1999). J’ai eu beaucoup de difficulté avec ce film et avec ce réalisateur, qui était très difficile et a poussé bien au-delà de ce que je méritais- et les autres acteurs aussi -, tout ça pour faire un film qui n’était pas vraiment le film du siècle. Déjà à vingt ans j’avais des réserves, donc aujourd’hui… Par contre avec Jean-Marc Vallée, là j’ai rencontré un vrai cinéaste, au sens noble du terme. Quand il m’a offert le rôle, il m’a dit « tu sais, ça va être un grand film, il passera à la postérité et les gens en parleront encore dans quinze ou vingt ans ». Je me disais en moi-même « Commence par faire le film ». Bref je lui trouvais un peu la grosse tête ! Mais en effet, le film a énormément marqué les esprits au Québec. En France aussi, on m’en parle encore ! On connaît la suite pour Jean-Marc et le cinéaste qu’il est devenu. Je sais que pour certains le tournage a été très difficile parce que Jean-Marc est un cinéaste très exigeant mais dans le bon sens du terme, ce n’est jamais cruel ni gratuit. Des gens ont parfois du mal à digérer cette manière de travailler mais pas moi. Je ne me souvient même pas qu’il m’ait donné une direction de jeu. On s’est assis. Il m’a très bien expliqué le personnage, m’a montré des photos, des extraits de film dont un de Good fellas où le type s’en va casser la gueule du gars qui était en train de tapoter sur sa copine avec la crosse d’une arme à feu dans une entrée de cour. Il m’a dit, « ben voilà, c’est ça ton personnage quand il s’emporte. C’est ce genre d’agressivité qu’on veut ». Ça avait le mérite d’être clair ! (rire) Il m’a montré des trucs sur Jim Morrison, un peu plus clichés mais ça a m’a permis de créer toute une imagerie suffisante pour créer mon personnage. Marc-André Grondin faisait ses premières armes mais j’ai découvert un acteur qui était déjà d’une grande maturité et qui lui aussi a eu depuis la carrière que l’on connaît. On a eu des supers rapports et ça a été un tournage magique pour moi. Et dans l’équipe, tout le monde se rendait compte qu’on tournait un film qui allait faire de l’effet. On savait qu’on tournait pas un navet !

Côté mauvais garçon, tu croise à deux reprises les routes de Noël Mitrani et Laurent Lucas. Le second, L'affaire Kate Logan, est anglophone mais le rôle se réduit à une apparition. Sur la trace d'Igor Rizzi est par contre un beau film qui n'a comme seul tort de ne pas utiliser assez ton personnage. D'abord Michel, un petit délinquant montréalais y vole le portrait de Mélanie, un fantôme joué par Isabelle Blais. Est-ce que cette apparition a été le début du coup de foudre ?

(rire) Est-ce que Borderline (2008) vient avant Sur la trace d’Igor Rizzi (2007) ? Je ne m’en souviens pas. Isabelle et moi, on s’est rencontrés sur le tournage de Borderline de Lyne Charlebois, dans lequel on avait des scènes très torrides à jouer. (rire) Mais on n’a pas eu de lien direct après ça. On s’est retrouvés trois ans plus tard pour une pièce de théâtre où on était seuls et qui s’appelait Midsummer : une pièce et neuf chansons et qui était l’adaptation d’une pièce écossaise de David Craig et qui avait fait un tabac un peu partout dans le monde. On nous avait demandé d’incarner les personnages de Bob et Héléna. On a fait environ 160 représentations, ce qui est énorme. Donc le coup de foudre est venu plutôt à ce moment là. Mais c’est quand même ironique que dans Igor Rizzi je volais le portrait d’une fille qui est devenue plus tard ma compagne. (rire) Je n’y avais jamais songé. Pour ce qui est du film de Noël Mitrani, c’est une drôle d’aventure parce que Noël venait de débarquer au Québec et ne connaissait pas grand-chose aux codes de la culture locale, mais était très décidé à faire un film. Il m’a abordé en me demandant si je voulais tourner gratuitement pour lui. j’ai dit : « Peut-être... (éclate de rire) Tout dépend de ce que tu me proposes ». Il m’a alors parlé de Laurent Lucas, un acteur que j’avais vu entre autres dans Harry, un ami qui vous veut du bien, que j’avais adoré. Laurent s’installait au Québec au même moment donc j’ai décidé d’embarquer dans l’aventure. Ça a été un tournage assez bizarre. On avait très peu de moyens même si ça a été filmé en 35mm. Une grosse partie du budget passait donc dans la technique. On tournait en plein hiver dans les rues de Montréal. Il y avait très peu de régie, peu de moyens de se réchauffer donc ça a été plutôt pénible sur ce plan là. Il y avait aussi quelque chose qui me turlupinait : le niveau de langage. Noël venait de débarquer et forcément il écrivait ses textes à la française. Je lui disais « Pour un québécois, c’est vraiment pas naturel de dire les choses comme tu les écris ». Pour Laurent oui mais pour moi ça n’avait pas de sens. Mais il y tenait. J’ai essayé, sans lui dire d’édulcorer ce qu’il proposait, parce que les tournures étaient trop alambiquées pour nous. Ça a donné un résultat surprenant, justement parce que c’est un peu décalé. Un drôle d’esprit rode autour de ce film, quelque chose de surréel qui se passe dans un monde peu probable, en tout cas pas dans un Montréal qui existe. À part pour les images. d’ailleurs ce sont souvent les français qui ont bien apprécié ce film là. Mais les cinéphiles québécois ont aussi beaucoup apprécié. Souvent des gens qui connaissent très bien le cinéma m’en reparlent. Et des français. Parce que pour eux ça correspond à un Montréal fantasmé. En fait c’est un drôle d’objet, mais qui a quand même remporté le prix du meilleur premier film à Toronto et un certain succès.

Avec Marc-André Grondin dans C.R.A.Z.Y. (Jean-Marc Vallée, 2005)

Les manières de jouer françaises et québécoises sont différentes. On peut imaginer aussi des différences de préparation entre vous. Qu’est-ce qui changeait par rapport aux autres comédiens avec les quels tu étais habitué à travailler ?

Ça c’est toujours difficile à dire. Les français ont peut-être un rapport au cinéma plus cérébral, à sa fabrication même. Au Québec on est plus intuitifs. Si je repense à Jean-Marc Vallée, même si c’est préparé, il reste beaucoup plus d’espace pour l’imprévu quand on tourne, donc la possibilité de se laisser surprendre. Du côté français et sur les quelques projets auxquels j’ai participé, c’est un peu plus prévisible. Les choses sont très à leur place, très annoncées. Les virgules sont importantes. Je caricature un peu mais ici, la virgule prend un sens ! Sur Igor Rizzi, le directeur photo s’appelait Christophe Debraize-Bois, un chic type. Mais avec Noël et Laurent, ils formaient une sorte de clan français – ce qui est bien normal – mais ça laissait moins de place à l’envoûtement, pas pour le résultat final mais au moment du tournage proprement dit. Après je dis peut-être des conneries (rire)...

Autre rencontre importante, Olivier Gourmet dans Un ange à la mer (2009), une coproduction avec la Belgique tournée au Maroc. Un personnage dépressif auquel tu volais sa femme, jouée par Anne Consigny.

Pour des raisons qui nous échappent, les personnages québécois ont été un peu coupés au montage, le mien et aussi celui joué par Louise Portal. Mais ça m’aura permis de rencontrer un acteur hallucinant, Olivier Gourmet, qui est un ambassadeur belge du jeu, dans la mesure où je pense qu’il y a vraiment une facture belge qui est très éloignée du cinéma français. Ce sont deux cinémas qui n’ont aucune parenté entre eux et différents du cinéma québécois. Même s’il y a sans doute une plus grande proximité de travail entre les belges et les québécois, ce côté aléatoire… Une façon plus festive de voir le cinéma ! Même si les films belges peuvent être très dramatiques, je ne pense pas qu’ils se prennent très au sérieux sur les tournages. D’ailleurs j’aime cette façon un peu désinvolte de faire les choses au Québec, avec un peu de sérieux quand même mais sans se dire « On est en train d’opérer un cerveau » On n’est pas en train de sauver des enfants qui vont mourir ! (rire) Le côté hiérarchique est moins présent, les gens se parlent, se regardent. Ils se respectent. Celui qui bloque les rues n’est pas moins important que le directeur photo. On est une même équipe occupée à fabriquer le même objet. Je pense que ça c’est très important et que dès que ça disparaît d’un plateau, il y a malaise. De ce côté là belges et québécois fonctionnent de la même manière. Par contre en France, il faut s’adapter : on ne parle pas à un corps de métier comme on parle à un autre. Je ne dis pas que c’est comme ça partout mais c’est ce que j’ai vu sur ceux que j’ai pratiqués. En tout cas, la rencontre d’Olivier Gourmet, ça a été un grand moment de ma vie. Un acteur brillantissimme et un chic type. On a passé un mois à tourner ça au Maroc, tous ensemble dans la même maison. Avec Anne Consigny aussi, on a eu beaucoup de plaisir… mais Olivier est d’un grand naturel. Il est fascinant à regarder jouer. C’est une belle leçon. Laurent Lucas aussi, mais c’est un autre type de jeu, plus cérébral. Lui est fascinant car on ressent l’importance que le théâtre a eu dans sa vie. Olivier, on est directement dans le cinéma. À « Action ! », il y a quelque chose qui se passe automatiquement. Donc c’était une merveilleuse rencontre.

En 2009, tu vas interpréter un de tes plus beaux personnages, Robert Sincennes, un père, une figure positive, un syndicaliste, déchu à cause d'une escapade avec Matilde, une fille en manque jouée par Céline Bonnier, qui comme Fanny Mallette était issue de la série Tag. Je me souviens (2009), c'est aussi la rencontre avec un des grands cinéastes québécois de la génération 70's, André Forcier…

Là encore, ça a été une rencontre très marquante ! J’admirais André Forcier depuis toujours. Chez nous, c’est une icône. Tous ses films ont marqué l’histoire du cinéma du Québec et je vois son travail comme une œuvre entière plus que comme une liste de films. Chaque film appartient au même puzzle. On verra à la fin ce que ça donnera mais à mon avis, ça sera comme un grand tableau. C’est aussi un personnage très étrange, il n’est jamais pareil d’un jour à l’autre et ce qui est très déstabilisant, c’est qu’on nage dans la désinvolture totale. On ne sait jamais ce qui va arriver en se levant le matin, comment on va se coucher le soir, si on a fait ce qui était prévu… Il faut jeter tout ça aux poubelles, parce qu’il n’y a rien de prévu. Ses plateaux sont très rococos. Je vois toujours le cliché du plateau fellinien. Sans arriver à ce stade là, il y a quelque chose de très improvisé dans cette façon de travailler. Marc-André est quelqu’un d’assez affable. Il peut être colérique, très amoureux, très aimant, très alcoolique, très sobre. Tout dépend des jours ! (rire) En tout cas, il en est sorti un assez beau film, d’autant plus qu’il a été tourné pour presque rien. Le budget total était de 800 000 dollars. Réussir un film d’époque sans que cela paraisse fauché, c’est un bel exploit parce que je ne pensais pas au départ qu’il y arriverait, ni qu’il était assez structuré pour réussir à être aussi précis. Mais je me suis totalement gouré, il y avait cette rigueur là qui permettait d’aller chercher au maximum dans très peu. c’était aussi un tournage très pénible parce qu’on tournait dans des conditions de froid extrême en Abitibie, à Val d’or. C’était un long tournage mais très instructif, j’en suis très content. Quant à Céline Bonnier, je l’avais rencontrée quelques années plus tôt pour Délivrez moi (2006) de Denis Chouinard. On jouait un couple dans ce film là donc on s’était très bien connus. C’est une actrice que je respecte énormément au Québec, qui a un parcours fantastique et assez unique. Elle est à la fois très polyvalente et très volontaire.

Je me souviens (André Forcier, 2009)

Tu interprètes ensuite le rôle d'une sorte d'apparition tout droit sortie de l'inconscient de français effrayés par les hommes québécois pour Romaine par moins 30 (2009), une comédie avec Sandrine Kiberlain. Comment s'est passée cette collaboration ?

Sandrine Kiberlain, ça a été aussi une fantastique rencontre parce qu’on a passé beaucoup de temps ensemble. C’est encore un film hivernal et on s’est réchauffés aux mêmes endroits... On passait souvent de longues heures à discuter.parce qu’on a développé une super amitié sur le plateau. Le film lui est assez… curieux. Pour les québécois, on n’était pas certains qu’il n’y ait pas un fond de caricature du Québec, mais je pense que ça faisait partie de ce qu’Agnès voulait faire, une caricature pas méchante. Si on regarde les personnages, les québécois sont à peu près tous soient cinglés, soient au moins très bizarres. Ça montre un Québec qui n’est absolument pas réaliste donc si on est français, j’espère qu’on ne s’imagine pas que le Québec est comme ça ! Mais si on le prend par le versant burlesque, peut-être que ça fonctionne. Pour te donner une idée, c’est comme si on venait tourner un film en France où tous les personnages auraient un béret et la baguette sous le bras, avec de l’accordéon partout ! Mais je ne pense pas que ce soit un mauvais film. Agnès Obadia est quelqu’un qui cultive un gros second degré. Je ne sais pas quel écho le film a pu avoir en France. Moi je n’étais personne pour le public mais Sandrine elle était déjà une énorme star, donc ça m’a permis de voir de l’intérieur le star système français. Et ça a aussi été une rencontre éphémère : on s’est bien entendus mais après je l’ai recroisée sur un festival et là on se connaissait plus... (rire)

On peut regretter que ça n'ait pas débouché sur des tournages français. Tu as déjà eu des propositions à l'étranger, en France, aux États-Unis… ?

J’ai été contacté pour différents projets français mais qui ne se sont pas concrétisés. Souvent des films d’auteurs qui n’ont pas trouvé de budget. En Belgique, ça a été la même chose. Pour les États-Unis, j’ai reçu un coup de téléphone du producteur du Parrain 2. le type me parle en anglais, ce qui au Québec est un peu vexant. « Vous ne parlez pas français ? Je ne comprends pas ! » Il m’explique qui il est. Il me dit que la femme de Coppola est sur un projet et qu’elle m’a vu dans Borderline et qu’elle hésite entre moi et un acteur français connu (il cherche)… Gérard Depardieu (éclate de rire) Non c’est pas vrai… Finalement j’ai envoyé la démo et ça ne s’est pas concrétisé. C’était quand même très flatteur que Francis Ford Coppola ait cru bon de me demander une démo...

Tu as joué le fils de Micheline Bernard dans La mise à l'aveugle (2012). L'histoire d'un fils étouffé par la poigne de sa mère, conseillère financière redoutable, dans un monde d'hommes… Tu joues donc très refermé sur toi-même.

Oui… C’est un film sur la froideur, je pense à la relation à ma mère. Moi-même, je suis un personnage très loin de ses émotions. Ce sont des personnages très difficiles à jouer parce que c’est une sorte de psychopathe mais qui n’a pas non plus d’actions précises à jouer à part détester sa mère et montrer que c’est quelqu’un de très rigide. Mais ça a donné un film intéressant. C’est un premier long-métrage mais qui a du style. Après Simon Galiéro est passé à toute autre chose dans son écriture. Maintenant, il fait tout en mode comédie. Ça démontrait peut-être aussi son propre mal être à l’époque. C’est un grand connaisseur du cinéma mais là il a appris à se décérébraliser. Il met plus d’émotion dans ses scénarios et il y a de très bons échos de ceux qui vont arriver.

avec Luc Bourdon au festival 48 images seconde de Florac

Tu joues Étienne dans Premier amour (2013), un film délicat mais pas toujours apprécié au Québec… Mais je ne me souviens plus trop de ce personnage !

Au départ, c’est l’histoire d’une jeune femme qui s’en va passer l’été avec ses parents sur une île perdue. En face, il y a une autre famille avec des jeunes garçons, donc elle vit sa vie d’ado. Et puis il y avait cet ancien militaire qui rôdait aux alentours. Originellement, il développait une relation avec la jeune fille puis ils partaient ensemble à la fin du film, mais tout a été coupé au montage. J’ignore pourquoi parce que le résultat final ne me paraît pas tellement meilleur. C’était un premier film de Guillaume Sylvestre qui était un super documentariste. Il a peut-être un peu raté son coup (rire). Ça n’a pas eu un grand succès. Après, c’est ça les premiers films, la perfection c’est rare ! Ça donne un film atmosphérique avec plein de belles choses mais pas d’unité. Et si tu ne m’ y as pas vu, c’est que j’ai été coupé au montage. D’ailleurs mes amis se moquaient de moi « Ah oui, c’est toi qui joue le cuad dans le film ! » (rires)

Tu as joué Pierre dans L'énergie sombre (2016), un titre qui caractériserait beaucoup de tes personnages dans l’infime part que j’ai pu voir de ta filmographie…

Ça c’est une drôle d’aventure... C’est le réalisateur du film La run (2011), qui a été un film fort pour moi.

et un succès commercial non ?

Oui quand même. Enfin pour l’exploitation en salles, ça n’a duré qu’une semaine. Par contre, c’est le film dont on me parle le plus aujourd’hui parce que c’est un film qui parle du monde de la drogue, donc un film très dur, très sombre. C’est un film qui se passe dans le milieu des dealers avec toute la violence qui en ressort. J’ y avais des scènes mémorables avec Martin Dubreuil. C’est un film qui a beaucoup touché une certaine frange de la population, notamment les SDF ou les jeunes toxicomanes. Très souvent, je me fais arrêter par des gens de la rue qui ont beaucoup apprécié ce film là. Il s’est adressé à un public particulier, ce qui est très bien car normalement ils ne voient pas de films. Il les a atteints de façon magistrale. Les performances d’acteurs sont aussi notables notamment Martin dont le junkie ressemble à une goule qui vient de sortir d’une tombe, est assez incroyable. C’est un rôle dont je suis très fier. J’ai beaucoup travaillé pour trouver ce personnage. Pour L’énergie sombre, il s’agit du producteur de La run. Son fantasme, c’était de réaliser un film d’horreur dans les lieux dits hantés du Québec. Il a écrit une petite histoire et nous a demandé à Isabelle et moi de tourner dedans. On ne s’attendait à rien mais c’était très agréable à faire. Je dis toujours qu’il n’y a jamais de risques à jouer dans un film plus ou moins bien vu parce que les gens ne le voient pas. S’il n’est pas bon, il n’y a aucune conséquence. Au Québec, un acteur ne peut pas se griller à cause d’un mauvais film. L’énergie sombre, ça a donné un mauvais film mais on a pris du plaisir à le faire. C’était drôle de visiter tous ces lieux là, supposément hantés, pour mieux se rendre compte que les fantômes sont plutôt au parlement, (rire) mais pas dans les maisons abandonnées.

Tu as aussi tourné avec Yves-Christian Fournier, très réputé au Québec mais peu connu en France…

J’ai fait un film avec lui qui s’appelait Tout est parfait ( 2008) qui - Ça c’était hallucinant et j’en reviens pas encore - est sorti en France sous le chaleureux titre Everything is fine. Il n’y a absolument rien d’anglophone dans le film donc merci les français ! Il y a des mystères qu’on ne résoudra pas. Ce ne sont pas les raisons des distributeurs que j’attaque mais le résultat… Pourquoi pas en espagnol ou en hongrois peut-être ? En tout cas, c’est un film qui a beaucoup marqué les esprits parce que c’est l’histoire d’une bande de quatre ou cinq adolescents qui décident de faire un groupe de suicide. Le même jour à la même heure mais dans des endroits différents, sauf un qui ne passe pas à l’acte et doit vivre avec les conséquences. Stylistiquement, je crois que c’est un film vraiment très réussi et au niveau du jeu, la direction des acteurs adolescents l’était aussi. Donc oui, Christian mérite bien son prestige, cette réputation de bon réalisateur. Après ça, il a fait beaucoup de télévision, mais c’était toujours très bon. J’ai beaucoup de respect pour lui.

On t'a vu un peu partout y compris dans des web séries mais surtout au théâtre. En concert ou au théâtre, l'intensité de la scène te manque-t-elle vite ?

Oui, il faut toujours y revenir. Au théâtre comme pour la musique, on est toujours sur la scène. C’est drôle parce que les deux dernières années j’y étais beaucoup avec ma copine. Au théâtre, on a tourné une pièce à travers le Canada pendant quatre ans, pas juste au Québec. C’est après qu’on a décidé de se lancer dans la musique. On en est à notre second album et on tourne à travers le Québec. On vient d’ailleurs jouer en France à Albi début juillet (l'entrevue a été réalisée en... avril). Ensuite on sera à Liège avant Noël. C’est quelque chose auquel je tiens énormément, d’autant que je suis en bonne compagnie avec la personne que j’aime. Comme c’est un grand privilège, ça me manque beaucoup dès que la scène disparaît. d’abord la scène est plus enivrante qu’un plateau de tournage. Tourner est bien agréable mais c’est plus familial, un projet d’équipe. Moi c’est l’osmose des équipes que j’adore, les relations que ça crée avec les gens, les familiarités. Même chose au théâtre mais avec un public renouvelé à chaque fois. Un public, c’est comme un cerveau, il y a une unicité. Donc chacun a sa personnalité, ses névroses, ses peurs, ses craintes… C’est toujours plaisant parce que c’est jamais redondant. Il se passe toujours quelque chose de différent et on tombe dans l’inconnu. On saute toujours sans filet et ça pour moi c’est important et c’est une grande part de notre métier. On est capables de voir où on va atterrir quitte à se blesser. Bon, on mourra tous un jour... (rire)

Avec Isabelle Blais pour le duo Comme dans un film

Avez-vous l’un ou l’autre déjà envisagé le passage derrière la caméra, ne serait-ce que pour réaliser les clips de votre duo avec Isabelle Blais (Je n’avais pas encore vu celui de Satan m’attend…) ?

Oui Isabelle vient de réaliser le clip d’une chanson de notre album La lune est passée par ici qui s’appelle Torvis. Et moi je m’apprête à réaliser le prochain clip avec Michel La Veaux à la caméra. On voudrait faire un grand plan séquence, assez compliqué techniquement, mais assez intéressant parce qu’on jouerait beaucoup avec la lumière. Il commencerait dans l’obscurité, irait vers la lumière pour finir sur quelque chose de très sombre, le tout avec énormément de personnages qui traverseraient le champ. Je ne serai pas contre le fait de commencer la production de courts-métrages. En vieillissant dans ce métier, on se rend compte qu’on maîtrise certaines choses, qu’on a beaucoup observé et qu’on a certaines aptitudes. On m’a tellement mal dirigé en tant qu’acteur à quelques reprises et d’autres fois parfaitement, que je pense pouvoir diriger les acteurs. Si je devenais réalisateur, je serais plus du côté du jeu que de la technique.

En parlant de plans séquences, de Michel la Veaux et de lumières on s’achemine doucement vers les raisons qui t’ont amené à Florac cette année. Cette actualité au festival ce sont donc deux films dont le premier La disparition des lucioles (2018) de Sébastien Pilote ouvrait le festival. En découvrant Steve, j'avais parfois l'impression d'une masse sombre, d'un trou noir où brûlaient encore dans ses prunelles, deux lucioles de désir ou d'espoir. Peut-être parce qu'il semble étranger à l'aspect pop et à la gaieté du restaurant. Il y a chez lui de la mélancolie et peut-être la trace d'une douleur ancienne, quelque chose de non-réalisé. Pourquoi ou par quoi Steve est-il « dérapaillé » ?

On ne le sait pas vraiment, c’est toute la difficulté de jouer ce personnage là. Sébastien m’a dit qu’on pourrait suggérer une peine d’amour, une histoire qui a mal tourné et il ne s’est plus intéressé à la gent féminine depuis. Pourquoi un tel manque d’ambition ? Pourquoi rester terré chez sa mère ? Pour après me dire « mais au fond, est-ce que c’est nécessaire d’avoir de l’ambition dans la vie ? On mise toujours tout là dessus mais on peut très bien être satisfait de ce qu’on a. Et puis c’est un personnage qui a une réelle passion pour la guitare et qui l’enseigne très bien… Je pense que tout le projet était de jouer sur cette ambiguïté : s’agit-il d’un vrai raté, d’un loser qui a laissé passer sa chance et il commence à être trop tard dans sa vie ou alors quelqu’un qui n’arrive pas à faire ça parce qu’il est somme toute heureux, autant qu’un humain puisse l’être avec des hauts et des bas. La rencontre de cette jeune fille va lui faire prendre conscience d’un paquet de choses. C’est aussi réciproque, cette jeune femme va aussi changer au contact de ce gars là. L’autre élément qui rendait leur relation complexe à créer, c’est l’absence de rapports charnels entre les deux personnages, ce qui est assez rare. Ici, on ne parle pas d’amour platonique mais d’une réelle amitié. Cette question sexuelle est assez vite évacuée ce qui pour moi est fantastique, parce que dans le scénario original, cette scène où on comprend qu’il ne se passera finalement rien arrivait beaucoup plus tard. Ça, ça s’est résolu au montage. Les producteurs et distributeurs étaient plus ou moins chauds à l’idée de ramener cette scène au début parce qu’ils avaient peur que ça tue un peu… le canard dans l’œuf (rire), que les spectateurs soient déçus et n’aient plus envie de continuer à regarder le film, quand au contraire je trouve que ça donne un nouveau souffle de vie au film. La question est réglée pour le spectateur comme pour le personnage, donc la difficulté était de jouer tout en nuances. C’est de la dentelle parce qu’il ne faut pas emmerder le spectateur non plus avec un personnage morne et insipide. Il n’y a pas beaucoup d’éclats de vie qui émergent de ce personnage, donc j’espère que c’est réussi. La mélancolie, je crois qu’elle est propre à ce milieu culturel dans lequel il baigne. Quand on regarde le tableau général, tout le monde est mélancolique dans ce film sauf que c’est peut-être plus visible chez Steve parce qu’il est solitaire et vit enfermé. Mais lui n’a pas de colère, la jeune fille si. Et c’est cette rencontre qui va donner cette relation atypique et permettre aux deux d’évoluer.

En prof de guitare de Karelle Tremblay dans La disparition des lucioles (Sébastien Pilote, 2018)

En effet, c’est très réussi. Je me demandais d’ailleurs comment vous aviez réussi à accorder ces deux personnages aux énergies si différentes. L’alchimie avec Karelle Tremblay est-elle venue rapidement ?

Oui, ça s’est fait très naturellement. On s’est rencontrés une fois pour essayer de répéter et là on s’est rendus comte que ça ne servait à rien car on avait une connivence directe. D’emblée je l’ai vu comme ma sœur. C’est quelqu’un avec qui je n’ai pas besoin de parler et d’avoir des grandes discussions mais avec qui je suis totalement à l’aise. Et puis nos jeux sont à la même hauteur. Je pense qu’il n’y a aucune théâtralité, surtout chez Karelle. Et la connexion avec Luc Picard marche aussi très bien, leur relation, parce qu’ils ont tous deux un jeu très naturaliste, très petit. Pour ça, il faut bien s’entendre avec la personne, avoir une sorte de compatibilité d’âme. Je sais que ça a l’air un peu ésotérique, mais je ne sais pas comment l’exprimer autrement !

Tu avais déjà croisé Sébastien Pilote pour un petit rôle dans Le démantèlement (2013). Comment ça se passe avec lui ? Par la parole tranquille ? Est-ce que c’est très directif ou y a-t-il une part d’improvisation ?

Non, Sébastien n’est pas un fan de l’improvisation. Lui ce qu’il aime, c’est laisser la magie apparaître, donc ce n’est pas quelqu’un qui va étouffer les choses pour qu’elles restent de la façon dont ils les avaient imaginées. C’est quelqu’un qui dirige tout en douceur, avec très peu de mots. Il est vraiment peu loquace ! Juste des petites choses, des détails un peu techniques : ne pas cligner des yeux dans telle réplique, ne pas froncer les sourcils… Je pense que Sébastien a justement une aptitude à rendre grand le petit, en filmant des scènes de la vie quotidienne qui n’ont l‘air de rien, dans des petites villes presque anonymes. Mais il est capable de rendre ça épique ! Il montre les choses de façon majestueuses alors que si on gratte, il ne se passe pas grand-chose.

Revenons à Steve : sa mère est morte, Léo va peut-être sauter dans un bus et disparaître on ne sait ou, alors qu’est ce qui le retiendrait encore dans cette ville ? Il y a toujours cette baie au fond… Comment imagines-tu l’avenir de Steve ?

Je ne me pose pas ce genre de questions. Pour moi, un film est un objet entier, fermé. S’il reste une part pour l’imagination, je la laisse au spectateur. Le travail est fait, à vous de vous démerder ! (rires) Il est parti du sous-sol, il est remonté au rez de chaussée, ça suffit pour l’instant. À mon avis, ça peut encore durer longtemps comme ça…

Les arpèges de Steve façon Satriani sont je crois assez différents de ta manière de jouer de la guitare…

Moi je ne suis pas du tout un guitariste de métal et je n’ai pas cette technique. J’ai une très bonne main gauche mais c’est la technique de picking que je n’avais pas pour le métal. Ça nécessite beaucoup de pratique, en particulier dans ce style musical spécifique, que je n’apprécie d’ailleurs pas particulièrement. Donc j’aurais pu le jouer moi-même mais ça aurait été moins précis que ce que Patrick Bouchard a fait. J’ai donc du l’imiter à l’identique. Mes doigts sont placés là où ils doivent l’être sur ce morceau. À la rigueur, c’était même un défi plus difficile que de jouer réellement. Il ma fallu répéter durant des heures pour apprendre vraiment et après arrêter tout ce que j’avais appris avec la main droite pour faire semblant. Ça nous a économisé beaucoup de temps de tournage parce que si on avait du conserver les prises live, on aurait du tout recommencer à chaque petit faux mouvement ou fausse note… On a a gardé ça pour la guitare acoustique et la classique car c’est plus mon domaine. Mais Patrick Bouchard a fait un travail exceptionnel. Je joue deux morceaux de lui dans le film, dont celui dans le stade de base-ball. Pour celui-là, l’équipe de tournage a applaudi à la fin de la prise. Ils croyaient que c’était moi qui jouais. C’était à s’y méprendre mais en réalité, aucun son ne sortait de l’ampli !

On pourrait songer à Tu dors Nicole (2014), d’autant que la parenté avec Stéphane Lafleur existe puisqu’il a signé le montage du film. La différence c’est qu’on ne voit jamais Steve jouer avec d’autres musiciens. Dans ta propre carrière, tu as plus souvent joué seul ou accompagné ?

J’ai très longtemps joué en groupe, notamment avec un groupe satirique et même grivois, Les Batteux-Slaques. On a beaucoup tourné et c’est même devenu culte dans son genre, dans ce créneau musical. Beaucoup de gens jouent encore cette musique et on m’en parle souvent. D’ailleurs on est inactifs depuis cinq ans et on vend encore des disques ! J’ai aussi fait beaucoup de musiques actuelles, de l’improvisation, classique ou contemporaine, avec un groupe qui s’appelait Hiatus. Après j’ai un monté un projet avec ma copine Isabelle. Notre groupe s’appelle Comme dans un film. J’ai aussi un projet avec un producteur d’enregistrement en solo. J’y pensais hier en écoutant Shaun Ferguson (en concert au festival 48 images seconde de Florac), c’est aussi très joli.

avec Isabelle Blais dans Le nid (David Paradis, 2018)

Par la magie du cinéma, ton duo à la scène avec Isabelle Blais va se transformer en duo à l’écran, sauf que Le nid (2018) n’est pas un lieu douillet. Il s’agit d’une introspection cauchemardesque et traumatique du couple. Qui est à l’origine de ce projet ? Est-ce vous qui avez proposé de le jouer ensemble ou est-ce plutôt une demande du réalisateur David Paradis ?

C’est un projet assez ancien de David Paradis qui date d’une période où il avait été condamné à faire du montage en très peu de temps pour une télé. Ils l’avaient enfermé dans un motel et il ne devait sortir qu’avec les épreuves du master. Il est resté là à ne faire que du montage pendant quelques semaines, d’où l’idée d’un gars séquestré dans un endroit... pour faire du montage ! (éclate de rire) Après , il a eu envie d’un film genre L’expérience (de Oliver Hirshbiegel) et de prendre un couple qui va mal. Au départ, il était question d’une pièce unique et sans décoration, comme un container. Mais les besoins du cinéma font qu’il a eu besoin d’un lieu plus cinégénique. C’est là qu’ils sont tombés sur cette église à Montréal, une espèce de vieille église anglicane qui servait de salles des fêtes pour les soldats de la seconde guerre mondiale avant leur départ. Après guerre on n’a plus rien touché. C’est un lieu incroyable, tellement lugubre que si on ne croit pas aux fantômes, on se met à y croire (rire). Rien n’a bougé : il y a cette vieille piste de bowling des années 40, une salle de billard… C’est un endroit complètement labyrinthique à tel point que je ne m’y retrouvais toujours pas à la fin du tournage. C’est vraiment étrange… Aussi, le lieu est devenu un personnage du film…

On sent que le scénario a été réécrit en fonction du lieu…

Exactement. À partir de là, David m’a proposé le scénario que j’ai trouvé hallucinant à la première lecture. Pour le Québec, c’est d’une originalité époustouflante ! Il y a cet aspect de méta-film…

Et c’est même un film-cerveau, comme si on en était directement dans le cerveau d’un des personnages…

C’est ça, c’est une sorte de représentation de l’inconscient d’une solitude radicale. L’acteur ayant lui-même un film à faire, on est en train d’assister au film qu’ils sont entrain de réaliser, donc tout est excusable… En particulier, l’absence de moyens. Le film n’aurait pas été meilleur avec cinq millions de dollars ! Et il y a cette espèce d’exercice où on ne sait plus trop ce qui est réel ou non. À travers tout ça, il y a un drame humain, quelque chose de grave les a touchés profondément. Durant ce qui devient une thérapie pour s’en sortir, certains monstres apparaissent. C’est un film dont je suis très fier mais que certains détestent totalement. D’autres sont choqués ou restent plutôt à distance de l’exercice de style. Pour moi, c’est un peu tout à la fois : il y a la profondeur, la comédie, le surréalisme, la science-fiction… On touche un peu à tout sans être tout à fait dans un style en particulier. C’est tellement bien foutu qu’en regard du peu de moyens, c’est un sacré exercice de style. C’est le genre de film qui pourrait être refait par des gros américains.

Je trouve qu’il a aussi le bon goût de te donner un très beau rôle. Au début on est en empathie avec ton personnage et ce, même si sa compagne tente de nous convaincre de son égocentrisme forcené. Comment évalues-tu sa responsabilité dans leur drame ?

L’expérience se fait à la base d’un commun accord. Mais elle, elle a l’air complètement cinglé et lui a tout du loser d’une paresse maladive. Il fallait aussi une bonne dose d’humour au départ pour que la chute soit plus radicale. Quand on touche au vif du sujet, si on s’était retrouvé dans le gros drame, ça aurait été un peu pénible, l’humour vient alors donner du souffle au film. Dans le fond, il s’agit bien d’une expérience pour se sortir d’une misère psychologique. Comme il est dit dans le film, « Certains font des thérapies, d’autres se suicident… Nous, on a fait un film ». C’est le côté salvateur du cinéma, ce « pourquoi on fait des films »... Pourquoi on regarde des films ? Pour s’en sortir ! C’est la très belle conclusion du Nid.

Maintenant que votre couple est devenu encore plus zen (rire), quels sont vos prochains projets ?

Au Québec, parfois les choses sont difficiles à venir donc je n’ai pas de projets cinéma en cours. Par contre, il y a un tournage de clip. Ensuite, les tournées européennes s’en viennent et entre le prochain disque de Comme dans un film et l’album solo, je me concentre entièrement à la musique pour le moment.

Remerciements : Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Dominique Caron et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos : Eric Vautrey.

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