Entrevue de Mon cinéma québécois en France

Les programmations libérantes : dans la dream team de Richard Brouillette, programmateur du Focus Québec du festival Doc-Cévennes

 

Entretien avec Pierre Audebert

Depuis au moins cinq ans, Richard Brouillette ramène en Cévennes le meilleur du documentaire québécois. Avant de faire le point sur un exceptionnel cru 2019, qu’il soit contemporain ou de patrimoine avec la venue de Marcel Carrière - notamment avec le Soleils noirs de Julien Élie pour lequel Richard fut le producteur délégué d'un projet hallucinant -, il nous a paru opportun de revenir sur ce travail de programmateur de longue haleine en publiant cette entrevue, fruit d’une rencontre à Lasalle en 2017.

D’un sommet à l’autre au service de la création documentaire qui nous fit alors découvrir Sylvain L’Espérance ou Jean-François Lesage parmi tant d’autres mais nous permit surtout d’aborder les conditions de ce renouvellement sans fin du cinéma du réel dans la belle province...

 

Vous intervenez à tous les échelons de la création cinématographique : vous êtes cinéaste documentaire et expérimental, mais également producteur, diffuseur, critique et même projectionniste ! Nul ne semblait plus qualifié que vous pour nous transmettre ce focus sur le cinéma documentaire québécois d’aujourd’hui…

C’est vrai qu’un des domaines où j’interviens le moins, c’est la programmation. J’ai bien un ciné-club à Montréal tous les vendredis soirs ( Les projections libérantes ) depuis vingt-cinq ans à la Casa obscura, mais ces derniers temps, j’ai aussi été approché par des festivals comme celui-ci, soit somme programmateur, soit comme conseiller sur les films québécois parce que j’ai développé une bonne expertise du cinéma québécois au fil du temps, autant des films de patrimoine que des films récents. Critique de cinéma, ça par contre je ne le fais plus. C’était mon premier métier… Mais il m’arrive d’écrire quelques textes pour des revues spécialisées comme 24 images mais il s’agit plutôt d’analyses de tendances ou des choses de ce genre là.

C’est plus intéressant…

Oui ! Ce qui est drôle, c’est que j’en écris surtout sur la fiction alors que moi je suis spécialisé en documentaire.

Concernant ce Focus québécois au festival Doc-Cévennes, la demande était-elle très spécifique par rapport à ce qu’il fallait présenter ou c’était plutôt une carte blanche complètement libre ?

On avait quand même le thème du festival (« Tout va bien » ) pour nous ouvrir le chemin et nous guider dans nos choix de programmation. Il y avait ensuite le fait qu’une bonne partie de la programmation est constituée de ce qu’on appelle au Québec des films « indépendants », c’est à dire des films autoproduits ou au moins des œuvres sur lesquelles les auteurs gardent tout le contrôle, tant au plan de la forme que du contenu. Une bonne partie des déplacements et des frais liés à la programmation des films québécois étaient pris en charge par le Conseil des Arts et des Lettres du Québec qui justement finance des films indépendants et créatifs et qui dans une grande majorité des cas, sont réalisés sans l’aide de la télévision. Il fallait aussi que les films soient de bonne qualité, qu’ils puissent établir entre eux un dialogue à différents niveaux. Par exemple Call shop Istanbul et Combat au bout de la nuit… Ce sont deux films avec une forme impressionniste et qui traitent de façon plutôt créative de la question des migrants, mais chacun d’un côté opposé de la mer Égée, chacun à sa façon et avec le contexte l’un d’Istanbul, l’autre d’Athènes – enfin certains plans sont tournés ailleurs en Grèce mais Combat se déroule surtout à Athènes. Parfois ce sont des dialogues sur ou autour de la forme. Par exemple le court-métrage de Catherine Hébert, Hier à Nyassan est une espèce de déambulation dans la plaine rizicole du Sourou au Burkina Faso, dans lequel on peut voir les conditions de vie des agriculteurs burkinabés. On peut lire plein de choses sur leur visages ou dans leur regard. Si le sujet est radicalement différent, cette forme là s’approche du film de Jean-François Lesage, sorte de « dérive situationniste » (rire) sur le Mont-Royal.

Combat au bout de la nuit (Sylvain L'Espérance, 2016)

Il y a aussi me semble-t-il chez Jean-François Lesage et chez Sylvain L’Espérance une manière de subvertir le réel par le travail sur l’image…

Oui, même chose aussi avec Call shop Istanbul… Après, un film comme Nous autres, les autres ou encore Retour aux sources, ce sont là encore des films qui parlent du rapport à l’autre, du rapport à l’identité, aux origines, qui parlent de parcours, un vers le Québec, l’autre vers l’extérieur avec ce graffeur qui retourne au Cambodge. Enfin le film de Zayné Akyol et celui d’Amy Miller abordent des sujets contemporains de façons différentes. Dans le fond, c’est bien d’avoir un spectre assez large pour couvrir aussi tous les styles mais à chaque fois en restant dans des sujets à la fois forts et contemporains.

Le Québec est un des plus grands producteurs de films documentaires, en quantité comme en qualité et quels que soient les formats. Hormis l’impact des chefs d’œuvre des pères fondateurs ( Pierre Perrault, Michel Brault, je rajoute André Gladu qui est pour moi une découverte récente…) du cinéma direct et le travail de fond de l’ONF, qu’est ce qui explique cette passion des cinémas du réel chez les québécois ?

C’est une question pour laquelle je ne suis pas sûr d’avoir une réponse ! ( éclate de rire ) Il est vrai qu’au début l’école du cinéma direct a été forte et que ça a jeté des bases solides. C’est la même chose que pour le cinéma d’animation et cette école est toujours très présente à l’ONF. Il y a aussi des conditions de financement plus favorables que dans d’autres pays. Et puis au Québec, les cinéastes les plus engagés au plan politique s’expriment beaucoup par le documentaire. Il y a assez peu de fictions politiques. C’est donc peut-être une sorte d’exutoire...

Le Québec propose beaucoup de festivals mais peu de places dans la distribution classique, les circuits art et essai ou ciné-clubs. Vous avez d’ailleurs monté votre propre structure de diffusion itinérante. Quel en est son impact et jusqu’où vous déplacez-vous sur le territoire canadien ?

Ah non… Ma diffusion n’est pas itinérante du tout ! La casa obscura est un lieu fixe. J’ai bien été projectionniste itinérant il y a bien longtemps, au début des années 90. C’était exclusivement québécois, un peu en région, un peu sur Montréal…

Vous projetiez quels genres de films ?

Un peu de tout : fiction, documentaire, courts ou longs et de toutes les époques.

Aviez-vous l’impression de répondre à une demande sur un territoire où il ne se passait pas grand-chose ?

Oui… C’est sûr que nous n’avons pas d’aide à la diffusion comme il en existe en France pour les salles d’Art et essai. Des aides existent bien mais pas assez pour créer une dynamique. Et puis c’est insuffisant au niveau de l’éducation cinématographique. Et si les gens ne connaissent pas, ils ne vont pas avoir envie d’aller voir.

Il y a pourtant eu les ateliers de l’ONF, comme ceux proposés par Daniel Racine qui à lui tout seul, en a animé au moins cinq mille. En France, nous n’avons pas d’initiatives de cette ampleur…

il y a bien des initiatives, mais cela reste timide par rapport ce qui se passe dans d’autres pays. Mais c’est vrai que des efforts sont faits. Par exemple les RIDM organisent des projections et des rencontres avec les cinéastes en milieu scolaire. Idem pour d’autres festivals… Il y a aussi le programme national « L’œil cinéma ». Mais le ministère de l’Éducation n’alloue pas assez de moyens. Ces initiatives restent trop disparates et ne sont pas cohérentes. C’est un des problèmes...

Quelle sont les mesures financières et les différentes structures qui soutiennent et aident à la production documentaire ?

D’abord il est important de bien comprendre qu’il y a toujours deux niveaux : le fédéral et le provincial. Le Québec est la province la mieux nantie pour les arts et la Culture parce qu’on veut défendre notre langue, notre identité, notre culture, blablabla… Il y a donc plus d’argent qu’ailleurs. C’est aussi ce qui fait que nous avons énormément d’artistes au Québec – c’est fou ! - et dans toutes les disciplines ! Au niveau provincial, il y a donc le Conseil des Arts et des Lettres du Québec et qui a son pendant au niveau fédéral, le Conseil des Arts du Canada. Ces deux organismes sont hyper importants pour le cinéma de création parce qu’ils donnent de l’argent sans pour autant s’immiscer dans le processus créatif.

Un amour d'été (Jean-François Lesage, 2016)

Ils défendent autant la fiction que le documentaire ?

Oui. Et l’expérimental, l’animation… Ils sont gouvernés par le principe du « Arm’s length », la longueur d’un bras, ce qui veut dire qu’ils se tiennent à distance. Ils ne vont jamais intervenir de quelque façon que ce soit. Les subventions sont octroyées par des jurys de pairs. Des cinéastes qui octroient à d’autres cinéastes des subventions, soit de développement ( écriture ), soit de production ( tournage, post-production ). Au niveau provincial toujours, il y a la SODEC ( Société de Développement des Entreprises Culturelles ) qui elle, finance un petit peu le documentaire de création, mais beaucoup plus le documentaire pour la télévision. Du côté fédéral, Téléfilm Canada finance essentiellement des productions à gros budget et très peu de documentaire. Il y a aussi l’Office National du Film qui est une sorte de studio d’état à la mode soviétique et qui d’ailleurs n’existe pas ailleurs. Ils produisent et coproduisent des films et ont surtout un programme absolument essentiel pour des cinéastes comme Sylvain L’Espérance et moi-même, ou encore Jean-François Lesage et plus généralement tous les indépendants, l’Aide au Cinéma Indépendant - ACIC ou ACIQ selon les années. C’est essentiellement une aide en services mais cela peut parfois être aussi numéraire pour payer des services : salles de montage, montage en ligne…

C’est complémentaire à l’offre de certains organismes comme Spira qui prêtent le matériel de tournage…

Oui j’allais d’ailleurs en arriver aux Centres d’artistes autogérés, qui sont un élément fondamental de l’équation. Alors il y a Main film, Prim, Vidéographe, Spira… Ils sont présents sur tout le territoire québécois, y compris dans les régions éloignées ou semi-éloignée selon comment on voit les choses…

Le Wapikoni mobile fait-il aussi partie de cette dynamique là ?

Non, ça c’est une initiative privée, mais ils reçoivent quand même des fonds du Conseil des Arts du Canada… Mais les centres autogérés sont aussi financés par les deux Conseils des Arts. Dernière chose, les crédits d’impôts. Le plus important pour les cinéastes indépendants, Le Crédit d’impôt du Québec. Le fédéral étant plus lorsqu’il y a des investissements privés donc des télédiffuseurs, des chaînes… Et voilà, on a fait le tour.

Vu comme ça, ça paraît plus important qu’en France mais peut-être que mis bout à bout…

Non, c’est sûr qu’il y a plus de subventions chez nous pour le cinéma documentaire. La fiction, c’est autre chose...

Y a-t-il des sous-genres ou des types de documentaires, peut-être transgenres comme le film d’Art, qui n’ont pu être représentés ici dans cette sélection ?

Bien sûr… Le spectre de la création documentaire est tellement large… Il y en a plein !

Un qui compterait beaucoup au jour d’aujourd’hui ?

( il réfléchit )… Le documentaire le plus expérimental. Les approches y sont tellement variées...

Les conditions pour les projeter n’étaient pas réunies ici ?

Non, ce n’est pas pour cette raison qu’on ne les a pas présentés ici. D’ailleurs il y en avait l’année passée et l’année précédente. Ce sont des approches non-traditionnelles mais il n’y a pas non plus de trucs complètement éclatés… Moi j’aime beaucoup ce genre d’essais documentaires.

Combat au bout de la nuit (Sylvain L'Espérance, 2016)

Venons en à l’un des plus gros événements de cette édition, qui sera la présentation fleuve du Combat au bout de la nuit de Sylvain L’Espérance. Par ailleurs vous intervenez vous même à la table ronde Penser la diffusion à l’international. Qu’est-ce qui pousse aujourd’hui autant de cinéastes québécois à aller tourner si loin de leur territoire d’origine et qu’est-ce qui explique que les québécois voyagent autant ? La nécessité de s’extirper de l’hiver ?

Mais moi je n’ai jamais remarqué qu’il y avait à ce sujet là une différence entre les cinéastes québécois et ceux d’ailleurs ! J’ai l’impression que les autrichiens, les belges ou les français filment tout autant à l’étranger. Comme je le disais, beaucoup de documentaristes québécois font des films politiques. Il y a des sujets internationaux et des sujets locaux. On peut faire un film sur les pipelines ou sur l’exploitation forestière. Mais il y a quand même des sujets comme le néo-libéralisme ou l’agriculture qui nécessitent une vision plus mondiale. Après, cela vient peut-être aussi de financements suffisants pour se permettre de tourner à l’étranger. Il est clair que cela coûte plus cher !

Découvert à Doc-Cévennes en 2015, Sylvain L’Espérance semble être un auteur très actif depuis les 25 dernières années. Qu’apporte sa recherche poétique à la fois au cinéma direct dont il est l’héritier et surtout à la captation du mouvement social et politique en Grèce ?

( il rectifie ) Ces trente dernières années ! Je dirais que Sylvain est de l’école de Joan Van der Keuken, dans son côté poétique. Certes, il a aussi reçu l’influence des cinéastes québécois, c’est indéniable. J’aime beaucoup ce type de cinéma qu’on peut qualifier d’impressionniste, qui procède par touches. On n’a pas toutes les clés, ni toute l’information pour nous bourrer le crâne avec une thèse ou un sujet. On est juste pris dans le maelstrom du film. Des idées nous traversent… Mais c’est à nous de faire nos propres déductions à partir de ce que l’on voit, ou plutôt inductions. Je trouve aussi intéressant que ce type de films existe à côté de celui d’Amy Miller qui lui est justement plus explicatif, dans la transmission d’informations.

Vous présentez son film, Le pouvoir de demain qui appartient à un genre assez peu représenté au festival, l’Alterdoc. Il présente trois initiatives différentes...

Alors moi je ne ne connaissais pas ce terme ! ( rire ) mais je trouve important que ces deux types de documentaires coexistent. Un qui nous permet de divaguer à l’intérieur du film, de s’y perdre, de se rattraper… On en sort avec une toute autre impression que dans le cas d’un film très utile pédagogiquement mais peut-être plus classique. Mais d’autres veulent plutôt transmettre des informations importantes sur certains sujets...

Concernant Amy Miller, en quoi son regard et son écriture se singularisent par rapport à d’autres ténors du genre, le français Demain par exemple ou les films de Marie-Monique Robin...?

Ah, je n’ai pas vu Demain... ( rire ) Amy est une personne profondément politisée au plan militant. Elle est très conséquente avec toutes ses idées. Elle fait partie de cette mouvance des « cultural studies », qui s’intéressent au pouvoir, où il se trouve et comment il est exercé… Pour donner un exemple, pour elle, le Demain de Mélanie Laurent est un « white girl’s adventure » ! ( rire ) Mais elle est aussi critique avec le film de Santiago Bertolino, Un journaliste au front, qu’elle qualifie de « White boy’s adventure » ( rires ). Par exemple, elle défend beaucoup la cause autochtone mais jamais elle n’irait les filmer sans s’être assurée d’avoir reçu leur appui total et de filmer AVEC eux. Donc ça ce sont des différences fondamentales entre le cinéma de Amy et d’autres gens qui vont juste passer faire un sujet à un endroit. Elle est totalement impliquée dans ces causes et dans ces réseaux là.

Le pouvoir de demain (Amy Miller, 2016)

Elle participe aussi au Wapikoni mobile ?

Je ne sais pas et d’ailleurs je ne sais pas ce qu’elle en pense, il faudra lui demander. Moi j’ai un sentiment très ambivalent : à la fois ils font du bon boulot mais ils ont aussi une attitude paternaliste que je n’aime pas trop… Mais Chloé Leriche est une bonne amie à moi et défend le Wapikoni par exemple. Des gens ont travaillé pour eux et en sont sortis très amers. d’autres trouvent ça fabuleux. Tout dépend des points de vue !

Vous avez écrit un très beau texte de présentation pour le film de Jean-Claude Coulbois, Nous autres, les autres. Son travail sur le théâtre contemporain à l’épreuve de la société québécoise peut aussi avoir une portée universelle ?

Oui je le pense. D’ailleurs ici dans les présentations à Doc-Cévennes, ça a vraiment suscité l’intérêt des gens. Il y a un moment où la société évolue plus vite que les arts et où on se retrouve avec une société aux origines très diversifiées. Or les artistes sont surtout des hommes blancs. D’où l’intégration de ce qu’on appelle au Québec la « diversité culturelle » dans les arts… Au Canada anglais, c’est extrêmement intégré par rapport au Québec. Nous au Québec, on sort à peine - enfin je ne suis mêmes pas sûr qu’on en soit vraiment sortis...- de cette quête identitaire, de cette remise en question, de cet éveil à sa propre identité. On est aussi très soucieux de protéger notre langue et notre culture au sein de cet océan anglophone.

C’est quelque chose auquel vous adhérez ? Connaissez-vous le cinéma d’André Gladu par exemple ?

Oui, je connais quelques films.

Il semble mystérieusement peu connu au Québec… ( il acquiesce ) C’est quand même au croisement du cinéma direct de l’ethnographie, de la musicologie. Mais la richesse de son cinéma si personnel développé pendant quarante ans a remporté un grand succès auprès du public français du festival 48 images seconde. Cela concerne des choses très locales, mais l’intensité de leur captation fait que ça nous transporte...

Je ne saurais expliquer pourquoi il est si peu connu de nos jours mais il est important que ces films là continuent d’exister. Idem pour les pièces de théâtre en français qui parlent de sujets québécois, au sens traditionnel du terme… Mais je trouve bien que les cinq protagonistes du film de Jean-Claude Coulbois soient mis en lumière pour nous faire comprendre ces choses là. Ainsi, il y a une sorte de rattrapage du théâtre sur la société. Au Québec, le décalage est plus important que dans le reste du Canada et il faut rattraper le temps perdu. Je trouve son film très convaincant à cet égard. Les personnes et la façon dont il les a filmées, tout cela développe l’engouement pour leur travail.

Nous autres, les autres (Jean-Claude Coulbois, 2016)

Vous présentez également un film de Santiago Bartolino, cinéaste mais aussi reporter vidéo sur le web, sur le travail de terrain d’un reporter de guerre. En quoi son expérience des médias peut-elle justement lui permettre de remettre en cause certains discours dominants ?

Son personnage, ce journaliste qu’il a filmé, parle peu de lui-même, mais beaucoup plus de son travail ou du travail avec d’autres intervenants du film. Il permet justement au spectateur de voir qu’il existe un autre type de journalisme possible, tout en prenant conscience de la précarité de leur métier. Ces journalistes pigistes de guerre sont vraiment mal payés alors qu’ils risquent leur vie ! Je pense que cela peut donc éveiller l’intérêt chez des gens qui méconnaissaient leur travail ou pour des médias similaires. Mais il est sûr que le bruit de fond des médias de masse est particulièrement fort et même s’il existe plusieurs médias alternatifs, les gens n’ont pas encore le réflexe de les consulter, enfin dans leur grande majorité. J’espère que le film de Santiago amènera les gens à être plus curieux d’autre chose, même si les gens qui vont voir des documentaires sont déjà des familiers des médias alternatifs.

Le film de Zaynè Akyol, Gulistan terre de roses...

Que je n’ai pas vu !

sera précédé d’un court-métrage anglophone réalisé par Aisha Jamal, coordinatrice du volet canadien du festival Hotdocs de Toronto. Ce double programme permettra une rencontre entre deux cinématographies anglophones/francophones qui dialoguent assez peu, à moins qu’en matière de documentaire, les frontières soient plus poreuses que pour la Fiction ?

Oui, il y a plus de perméabilité. Et c’est encore plus vrai du cinéma expérimental. Les québécois connaissent très bien ce qui se fait ailleurs dans le Canada anglais.

Il y a donc des créateurs qui font l’unanimité comme en son temps Arthur Lipsett que même Kubrick admirait et dont il s’était inspiré ?

Mais même dans les cinéastes contemporains… Il y en a d’excellents au Québec et au Canada anglais. Ces réalisateurs là sont beaucoup plus facilement en relation que les documentaristes qui eux-mêmes le sont plus encore que les cinéastes de fiction. C’est aussi qu’au Canada, il ne se passe pas grand-chose en matière de fiction. C’est souvent très traditionnel et il y a peu d’auteurs créatifs. Attention il y en a ! Mais moins. Le problème, c’est aussi que le public canadien anglais ne va pas voir de films canadiens anglais. La fréquentation est très faible par rapport à celle du Québec qui n’est déjà pas comparable à celle de la France ou à d’autres cinématographies nationales fortes. Le Québec se débrouille quand même pas trop mal ! Et à travers ces centres d’artistes autogérés, il y a toujours des ponts, un espèce de réseau entre le Canada anglais et le Québec, les gens se croisent dans les festivals... Mais le fait est que peu de films canadiens anglais vont sortir en salle à Montréal. Très peu ! Sauf s’il s’agit d’anglophones du Québec comme Amy Miller.

Le film Retour aux sources qui s’intéresse aux survivances de la culture millénaire Khmère chez de jeunes artistes contemporains issus de la diaspora cambodgienne sera lui projeté en présence du graffeur montréalais Fonki qui en est le protagoniste. En plus de ce beau programme, vous êtes venus en bande, ou plutôt « avec la gang », pour présenter ces films ! À Florac comme à Lasalle, on a toujours un sentiment très fort de communauté et de plaisir mutuel de la découverte dans les rapports entre tous ces artistes…

Oui mais après ça vient peut-être des membres de l’équipe présente cette année et qui étaient particulièrement enclins à fraterniser. Une chose est certaine : des liens très forts se sont créés pendant la semaine. On a même eu une journée « team building » en canoë ! (rires) C’est un truc très particulier et assez formidable qui nous est arrivé cette semaine à Doc-Cévennes. Au Québec, on ne vit pas des choses comme ça ! C’est parce qu’on était à l’étranger… c’est le club des expats’ ! (rires)

Retour aux sources (Jean-Sébastien Francœur et Andrew Marchand-Boddy, 2014)

La présidente de Doc-Cévennes, Marion Blanchaud, écrit dans son texte de présentation de Call shop Istanbul « une remarquable captation de la fragilité de l’instant et de ce dont elle est porteuse : l’humanité. » Cette jolie formule est également tout à fait valable pour le film Un amour d’été de Jean-François Lesage, étonnante plongée en apnée dans la douceur nocturne d’un parc de Montréal…

Tous ces films abordent d’une façon ou d’une autre l’altérité. Ils sont vraiment tournés vers les autres… Dans le cas de Jean-François, son cinéma est toujours comme ça : il part à la rencontre de l’autre ! Un peu comme un pêcheur. Il va à la pêche et aborde peu ou prou ces mêmes sujets existentialistes : l’amour, la mort, la vie, le sexe… Mais dans Un amour d’été, il le fait de façon particulièrement atmosphérique.

On rejoint ici un travail sur l’ambiance visuelle et sonore, la couleur, qui s’éloigne - tout en y appartenant - du cinéma direct pour approcher les installations vidéo, plastiques et sensorielles…

Oui, il développe vraiment un espèce de monde qui lui-même est contenu dans ce film là.

Il y a cette formule : « Libère ton esprit et ton cul suivra » que disent certains jeunes dans le film … Ce type d’expérience cinématographique, proche du cinéma total, peut justement nous y aider…

Oui d’ailleurs ce serait formidable de présenter ce film en extérieur pour le rendre encore plus libérateur. Je pense en effet que c’est une métaphore du film lui-même… Se libérer l’esprit et se laisser aller dans ce monde, dans le ventre de la nuit...

Pour terminer, en dehors de quelques festivals, une idée d’une initiative à lancer ou juste un vœu personnel, pour mieux diffuser la création cinématographique québécoise sur le territoire français ?

Le problème, c’est que le gouvernement québécois actuel a énormément coupé dans les délégations québécoises à l’étranger. Ça a créé un grand manque vis à vis de la promotion et de la mise en place d’initiatives.

Est-ce par soucis d’économie ou parce qu’ils ne sont pas satisfaits du retour des festivals étrangers ?

Je n’en sais rien mais c’est très con ! Car il est essentiel pour le Québec d’être reconnu au plan artistique et culturel ailleurs à l’étranger. J’avoue que je n’ai pas compris. Ça va vraiment à l’encontre de ce qui se fait depuis de nombreuses années. C’est une conséquence du néo-libéralisme. Ils ont simplement coupé partout et pris des mesures d’austérité. Par contre, il y a une nouvelle entente entre la SODEC et le CNC qui va peut-être mener à la consolidation d’initiatives comme les festivals Doc-Cévennes ou 48 images seconde. Il faut rappeler que l’événement Cinéma québécois à Paris a été aboli et qu’ont suivi des années difficiles. À ce qu’on m’a dit la fréquentation s’était pourtant améliorée… Mais moi je préférerais que le gouvernement appuie plusieurs initiatives plutôt qu’un seul gros événement comme c’était le cas.

Entretien réalisé par Pierre Audebert en Mai 2017 pour Cuturopoing. Merci à Guilhem Brouillet.

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