Entrevue de Mon cinéma québécois en France

L'entrevue a été réalisée par Daniel Racine dans le cadre de la programmation du ciné-club du mois de mars 2021.


[Daniel Racine] Avant de plonger dans HAPPY FACE, je tiens à ce que tu m’aides à te présenter au public français, car tu détonnes dans le paysage du cinéma québécois. Tu es né au Québec, d’une mère française dont tu as conservé l’accent, ce qui est rare car souvent les jeunes finissent par prendre l’accent québécois. Tu as grandi dans Côte-des-Neiges, le quartier le plus multiculturel de Montréal, et tes deux longs métrages, précédemment THE WILD HUNT, ont été tourné en anglais. As-tu ce lien d’appartenance au cinéma québécois?

[Alexandre Franchi] Pour préciser ton truc, je suis né d’une mère française d’origine polonaise-italienne et d’un père corse. Et j’ai grandi dans un quartier anglophone. Les québécois me disaient « Maudit français, retourne dans ton pays ». Dans ma tête je me disais, je suis né ici, j’aime Guy Lafleur (hockeyeur) et Bobino et Bobinette (émission jeunesse). Pendant longtemps, je me suis tenu avec les immigrants qui parlaient anglais.

Et je ne sais pas comment je me définis dans le cinéma québécois. Dans le sens que je suis québécois, je fais du cinéma ici, mais je fais des films en anglais, ce qui n’est pas très smart (intelligent) pour se faire financer et pour avoir un auditoire dans sa propre province.

Je pense que le fait que j’ai fait mes études en cinéma, ce n’était pas dans des écoles d’art, mais plutôt dans des écoles techniques, comme la Vancouver Film School, Canadian Film Center à Toronto, et quand je suis allé là, j’avais un rêve d’Hollywood. J’ai grandi avec le cinéma américain, je ne suis pas ce qu’on appelle un cinéphile. D’ailleurs, cela nuit à mon cinéma. J’ai grandi avec des formes d’art comme l’opéra, le théâtre, les tableaux, lire, mais ce que je regardais en cinéma c’était Indiana Jones. Donc, j’avais cette espèce de vérité à faire des films en anglais pour Hollywood, sauf que mes sujets ne sont pas très hollywoodiens.

J’ai du mal à me définir dans le cinéma québécois. Ma définition je ne peux même pas me la faire. Ça va venir à force de persévérer, de faire des films, à bosser pour qu’il soit encore meilleur. En faire en français éventuellement, ça va donner quelque chose, un body of work (une filmographie) neuf. Même si les gens me connaissent, les cinéastes, les producteurs, les productrices. Mais on ne peut pas dire que j’ai un public. Bizarrement mon public c’est ceux qui aiment les films de genre aux États-Unis, alors que je ne fais pas du cinéma de genre. Tout ce que je fais à un petit côté trop coloré, bédé, limite exubérant. 

Alors c’est ça, j’ai un gros problème identitaire, tu as mis le doigt dessus. Les sujets de films québécois, le ton, le rythme, je n’ai pas grandi en regardant ça, je n’en consomme pas tant. Certains, je les adore. Tu me parles de GINA de Denys Arcand, fuck yeah

Ce n’est pas un rythme que j’ai, ce n’est pas une forme de dialogues que j’utilise, de trame dramatique. Je me nourris de comic books et de bande dessinées, je lis beaucoup de manga. J’aime toucher l’être humain, mais de manière exubérante et grosse, ou grotesque, ce que j’aime beaucoup d’ailleurs.

Depuis HAPPY FACE, j’ai réalisé que j’ai trop essayé de plaire avec ce film, je suis allé entre les deux. Tu veux que ton film soit financé, qu’il soit vu et aimé. Je n’ai pas été à fond dans ma folie, et ça après tu le regrettes. Donc, je me suis dit, je vais devoir plus me rouler les manches, et bosser à fond dans ma folie, dans la noirceur de l’âme humaine que je veux explorer, qui sont un peu mes thèmes. Dans la faiblesse, la médiocrité humaine. Les histoires de résiliences, où les gens sont bien, ça ne me parle pas, je ne suis pas comme ça. Moi, je m’intéresse aux gens qui sont faillibles, qui fouèrent (qui échoue), parce qu’on se sent moins tout seul. 

Alexandre Franchi 2009

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HAPPY FACE est un film très personnel, car un des volets de l’histoire est basé sur ta relation avec ta mère, qui se définissait par sa beauté, qui a eu un cancer, et tu l’as accompagné dans sa maladie, provocant chez toi une culpabilité, qui est un peu la source du récit. Comment t’ai venu l’idée de ce groupe de thérapie pour les gens défigurés, qui complète à merveille ton scénario?

Cette idée m’est venue à l’école de cinéma à Toronto. Ça devait être un court métrage qui s’appelait LA GUERRE DES SENS (WAR OF THE SENSES). C’était beaucoup plus ado et puéril comme truc, l’histoire d’un mec qui ne pouvait pas dealer (gérer) sa culpabilité. Et il essayait de trouver des freaks (monstres), des gens déformés, défigurés, et de faire une révolution avec des clochards, des gens moches. Et à la fin, il se défigurait lui-même. Devant une caméra, en circuit fermé dans un centre d’achats, dans le comptoir des cosmétiques. Il se coupait, il se mutilait, et il devenait le leader de cette horde.

C’était l’idée de choquer, de foutre ça dans la gueule des gens. Moi, j’avais du mal à regarder ma mère, et je voyais comment les gens la regardais et c’était comme Fuck You! Je mets de la laideur dans votre face, je vous les mets dans le caca. Ouais, c’est parti comme ça.

L’évolution de ce film, qui a pris 15 ans à écrire on and off (en dilettante), mon processus psychologique de ce qui arrivait à ma mère, l’histoire a été conçu un peu tout croche. C’est parti du viscéral et j’ai essayé d’en faire une histoire plus cohérente. J’avais un désir de mettre mal à l’aise, car c’est un peu ce que j’avais ressenti, quand les gens regardaient ma mère. J’avais le goût de leurs casser la gueule. 

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Dans tes premières versions de scénarios, comment les avais-tu imaginés tes personnages déformés, physiquement et psychologiquement?

Dans toutes les versions de mon scénario, j’imaginais des personnages comme Maggie qui était anthropologue, érudite, qui avait été brûlé dans un accident. Avec leurs différences faciales, tu ne vas pas trouver nécessairement des gens qui s’expriment bien, qui a un niveau de langage d’un doctorant.  J’ai déniché Alison Midstokke (Maggie) qui essayait d’être mannequin à New-York. Elle, elle disait « moi je suis une babe, je m’habille sexy ». Nous, quand nous avons casté (choisi) les gens, nous avons fait des ateliers, on a fait une thérapie entre nous. J’ai pris un coach d’acteurs, on a parlé de nos bobos, j’ai parlé des trucs avec ma mère, je nous ai fait écrire toutes les insultes que nous avions reçues dans nos vies. Je nous ai fait dire les insultes l’un en face de l’autre, dans la gueule, pour que l’on s’habitue, que l’on s’acclimate, les gens pleuraient, les gens se livraient. Elle, elle allait donner des petites tapes dans le dos des gens et leurs disait « ouais, c’est génial ce que tu vis, tu vas y arriver. Moi, je n’ai pas de problème ». Elle avait une assurance, mais tout le monde lui lançait « tu as des issues (problèmes), fille! ». Et finalement, le personnage je vais le faire comme elle, il est là quoi. C’est une actrice, elle a joué dans des petits films, mais ce n’est pas une actrice de formation. J’ai pris des versions de leur personnalité. 

Alison Midstokke dans le rôle de Maggie, Happy Face (2018)

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Et pour la relation maternelle, vous aviez une relation très symbiotique ta mère et toi. Cette partie du récit, tu as pratiquement transposé ce que tu as vécu, sans trop de pudeur. Pourquoi sentais-tu le besoin de nous le partager, sans trop de filtre?

En fait, j’aurai pu en mettre plus encore. La trame de Stan et de sa mère, ça m’a posé beaucoup de problèmes dans le film, car je n’avais pas le recul. Quand des trucs que tu as vécu super intensément avec quelqu’un face à la maladie, la mort, tu vas le mettre en scène dans un film, mais à la fin ça devient un pastiche. Moi, je regardais ça et je ne feel (ressentais) rien. Et d’ailleurs pour moi, un des défauts du film, ce n’est pas les défigurés, car eux leur jeu, leur arc, leur mise en scène, j’en suis fier. Mais Stan et sa mère, c’est un peu confus. J’avais du mal à voir qu’est-ce que ça prenait pour mettre les jalons narratifs. Je n’avais pas de perspective. Ma coscénariste Joelle, elle me connaissait bien, car elle était ma blonde (copine) à l’époque. 

Quand tu as des enfants qui vivent avec des parents qui ne vont pas bien, dans certains cas, ils doivent eux-mêmes avoir un rôle de parent, d’être une bouée psychologique. Ils voient des trucs qui ne devraient pas voir. 

Au bout d’un moment, fuck la pudeur. J’aime bien créer un peu ce malaise qui s’apparente au grotesque. Moi, j’aime faire ça, des films qui joue là-dedans. Sinon, ça sonne faux et ça ne m’intéresse pas. J’ai le goût d’être excité en écrivant ce genre de truc, c’est pour ça que je ne fais pas dans la dentelle et que c’est parfois un peu gros. Disons que je ne suis pas quelqu’un de subtil, je n’ai pas la patience. J’aime que ça soit intense, j’aime les choses épicées. Sinon, mon esprit me fait divaguer, je m’en vais ailleurs. C’est naturel de le faire pour moi, plus qu’un choix intellectuel.

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Une étape importante avant le tournage, et cruciale pour ton film, c’est le casting, autant pour celui du rôle de Stan, que pour tes personnages défigurés. Commençons par Robin L'Houmeau, ton Stan, dans son premier grand rôle au cinéma. Ça te prenait un jeune bilingue, très beau, avec une présence forte à l’écran. Qu’est-ce qui t’a séduit chez Robin?

J’ai ouvert le casting ici à Montréal, j’ai tchéké (regardé) à Toronto, au Canada anglais. On a fait le tour, autant pour Robin que pour mes défigurés. Il y avait un autre comédien, qui avait beaucoup plus d’expérience, qui était très technique. Mais Robin avait cet instinct, cette présence, un look un peu androgyne, différent, beau, mais pas plastique. Je n’étais pas comme ça jeune, j’étais beaucoup moins libre que lui. J’étais en finances avant, je voulais aller sur Wall Street, faire de l’argent et gâter ma mère. J’étais un stresser de la vie. Je n’étais pas comme Stan, je n’étais pas zen, je n’avais pas confiance. Son petit côté rêveur me faisait penser à moi, comme j’aurais aimé être, que j’étais probablement. J’étais sensible au fond, mais j’avais une espèce de carapace.

Et je me rappelle un moment, je lui ai téléphoné et je lui dis « écoute, si jamais tu as le rôle, il y a des affaires weird (étrange) que tu vas faire ». Dans le film, il se met tout nu, il se passe plein de trucs. « J’ai besoin de savoir que tu vas y aller all the way (jusqu’au bout) ». Qu’il va y aller à fond! Je ne sais pas où l’aventure va nous mener, mais j’ai besoin de sentir qu’il n’y a pas de réticence pour y aller. « Ok, c’est bon, tu l’as »!

Mon regret avec les acteurs et actrices, c’est probablement avec Debbie. Elle est la plus expérimentée de la gang, c’est elle qui a le plus de métier et qui a de la technique. J’avais tellement de chapeau, réalisateur, coscénariste, coproducteur, je me suis concentré sur mes non-acteurs défigurés, leur rôle, leur arc et tout. Je n’ai pas pris assez de temps pour Debbie. Robin, il a un style de jeu assez naturaliste. Debbie c’est une actrice de formation, et elle m’a dit au début « ok, il faut que je m’adapte ». Quand ils parlent de leur vie, c’est real (vrai). Le personnage de Debbie était délicat, comme une ado qui n’a pas grandi, frustrée qui s’occupait d’eux. Je n’ai pas pris assez de temps pour le raffiner, pour sculpter son rôle et mieux l’intégrer. Ça n’a rien à voir avec elle, Debbie a tout fait comme il le fallait, en plus d’aider les acteurs sur le tournage, c’était génial. 

Avec le recul, comme cinéaste, je me dis que même les acteurs chevronnés, il faut que tu fasses le même processus avec. 

La majorité des acteurs aiment être dirigés, savoir ce que le réalisateur veut…

Oui. Il y a eu beaucoup d’exploration avec Robin et les non-acteurs, mais je n’ai pas fait ça avec Debbie, reprendre tout à zéro et explorer. Tcheke (regarde), on va prendre une cuite et on se parle de nos vies. Moi, j’ai besoin de ça en fait. Surtout dans ce film-là, j’avais besoin que les gens parlent de leurs vrais trucs, d’aller chercher ça. Elle l’a fait, elle s’est livrée et elle a été super courageuse de faire ce film. Je suis content qu’elle l’a fait, dans des thèmes qu’elle avait à cœur. Mais dans le futur, même si j’ai des acteurs qui sont des stars, d’essayer de trouver le temps et les moyens pour trouver la bonne formule. Ils ont des agents, des horaires de ministres, mais il faut retrouver cette innocence, celle du gamin qui joue, comme lorsque l’on jouait avec nos Playmobil et nos Schtroumpfs. 

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Pour les défigurés, tu ne pouvais pas prendre des comédiens et les maquiller. Tu es donc parti à la recherche d’hommes et de femmes dont les visages étaient hors normes. Recherchais-tu des caractéristiques physiques en premier, ou les choisissais-tu davantage en fonction de leur histoire, de leur vécu?

C’est sûr, je ne voulais pas avoir des gens qui avaient seulement une cicatrice. Je voulais des gens qui avait leurs caractéristiques depuis la naissance, et d’autres à cause d’un accident ou d’une maladie. Parce que psychologiquement ça fait toute une différence, dans ta définition de ton « toi », si tu as un deuil ou non à faire également. Tu le vois dans la gang ceux qui ont eu un accident de voiture, un cancer, par rapport à Otis, joué par David Roche, ou Maggie, qui sont nés avec ça et qui ont développé leur personnalité autour de ça. Je voulais ça, mais j’ai surtout cherché la magie et le charisme, aussi une fascination quand tu les regardes. 

David a embarqué dans les premiers. Bon, lui c’est un public speaker (orateur) qui a déjà joué, il a fait des stand-ups. Maggie, Alison Midstokke de New York, elle a un corps de mannequin, et en plus elle s’habille comme ça. Quand j’ai vu ses fringues, j’ai dit ben attend, amène-les man, c’est correct. Si tu te sens à l’aise, tu vas être comme ça dans le film. C’est ça que je voulais créer, les spectateurs voient ce corps-là et ils voient la gueule, et what the fuck, je suis supposé être excité. Ce sont des questions que l’on se pose crisse, même si elles sont taboues. 

Je cherchais la magie, qu’il se passe quelque chose. Celle qui joue Buck, Cindy Nicholsen, qui est décédé l’été dernier d’un cancer du pancréas, on me l’a présenté et dès qu’elle parlait de sa mère elle pleurait sur commande. Elle voulait faire ce film pour dire à sa mère ce qu’elle n’osait pas lui dire dans la vraie vie tsé. Et elle espérait que sa mère voit le film. Mais sa mère est décédée avant que le film sorte. Finalement, elle trouvait que c’était mieux comme ça. Elle commençait à être heureuse, elle a eu un premier passeport, elle est venue au festival Slamdance à Park City dans le Utah. Elle a vécu des trucs pas mal. Elle a adoré, ça été la meilleure expérience de sa vie. 

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Lorsque tu as fait ton repérage pour les lieux publics, ceux qui impliquaient que tes comédiens se dévoilent aux figurants ou aux passants, comment les as-tu choisis?

J’ai voulu tourner ce film-là où j’avais vécu ces événements. Ce film, c’était par rapport à ma mère, un processus cathartique personnel. J’ai tourné dans l’hôpital Royal Victoria où ma mère est morte. Je voulais tourner sur le même étage, mais ils y font des trucs de recherche. Alors, j’ai tourné deux étages au-dessus, en tentant d’avoir la même vue de la chambre, mais au-dessus. J’ai voulu tourner dans l’immeuble où j’ai habité jeune avec elle, mais ils ne m’ont pas laissé alors j’ai tourné dans l’immeuble en face. La pizzéria c’était à côté de où je  hangnais (je me tenais) au métro Snowdow dans Côte-des-Neiges. Il fallait que je ressente quelque chose, que ça ait une signification pour moi. 

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Tu as dit dans une autre entrevue, qu’avoir su, tu aurais préparé davantage ton tournage. Pourtant, il y un côté guérilla, voire punk, qui colle avec l’attitude de ton film. Certains disent que tu as négligé ta cinématographie, mais en même temps ton film a un aspect documentaire. Tu ne voulais pas un truc trop propre, tu voulais que ça fonctionne avec ton histoire, tes personnages?

Oui et non. Je voulais un côté punk, adolescent, rebelle. C’est la nature du film, l’impetus de l’histoire venait de cette période-là chez-moi. Oui, ce que tu as entendu est très vrai. Je n’ai pas fait de storyboard, je n’ai pas fait de shot list. Je suis allé tourner un film de 500 plans avec des non-acteurs sans storyboard, sans shot list, ce qui est complètement stupide pour mon équipe, pour la direction. Je réécrivais au jour le jour, je coproduisais, j’éteignais des feux, je réalisais. Ce qui a souffert dans le film, c’est ma mise en scène. C’est une erreur que je ne referai plus, parce que le film en a souffert. 

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Parlant de côté guérilla, proche du documentaire, que voulais-tu comme travail caméra de la part de Claudine Sauvé? 

Je l’ai mal préparé. Elle a fait beaucoup de films et de séries, avec des cinéastes qui se préparent beaucoup, qui sont très méticuleux. Nous nous sommes préparés sur le look, sur les couleurs, nous avons fait quelques tests. Sur le côté pastel, un peu Naf-Naf des années 90. Après elle a pris ça et elle a flyé (continué) avec ça tsé. Claudine, elle sait aussi réaliser. Elle a été d’une grande aide à me structurer. Ce qui a été aussi une source de tension avec moi, car je ne savais pas ce que je voulais. Elle me proposait des trucs et je disais « non, non, non ». Alors elle disait « on fait quoi finalement ». Et je changeais encore d’avis tsé. C’était rough (dur) pour elle, pour eux.

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Tu collabores depuis longtemps avec Claudine. Qu’est-ce qui fait que tu aimes travailler avec elle, qu’admires-tu dans sa démarche?

C’est quelqu’un qui vient du documentaire. Elle a une très belle direction-photo, très colorée, avec plein de petits détails. Mais moi ce que j’aimais, c’est qu’elle est très bonne avec une caméra 35mm et 16mm à chopper (attraper) des films documentaires rapides. Dans THE WILD HUNT nous étions la nuit avec des torches, quasiment pas d’éclairage, dans le bois avec des grosses caméra 35mm. Son talent est indéniable, mais ce que j’aime c’est son côté indéfectible, prête au combat. Celui de créer on the spot (sur le champ).

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HAPPY FACE a remporté le Prix collégial du cinéma québécois l’un des plus beaux prix au Québec, qui est attribué par un jury composé de jeunes cégépiens à travers la province. Qu’est-ce que ce prix change dans la vision d’Alexandre Franchi de sa place dans le milieu du cinéma québécois?

Que le film ait été nominé déjà et qu’il ait été ensuite choisi, ça m’a fait dire, ok les gamins, les jeunes qui font face à une réalité multiculturelle, beaucoup plus modernes que nous. Eux, ça ne les a pas choqués. Ils ont trouvé ça bien, humain, touchant, ils ont ri et ils ont débattu. Ok, je ne suis pas dans le champ, comme durant mon financement où on me disait « ton héros et ci et ça ». 

Ce qui m’a beaucoup touché, c’est que j’ai été invité par des centres d’emploi-jeunesse, par des profs de cégeps et d’universités, à présenter mon film et avoir des discussions avec les élèves. Les jeunes parlaient de bullying (intimidation), ils s’ouvraient. Dans une école à Trois-Rivières, des intervenantes m’ont appelé pour me dire qu’un de leur jeune, ça faisait longtemps qu’elles lui proposaient d’aller voir une psychologue, et bien il a décidé de consulter après une discussion autour du film. Par rapport aux jeunes, aux gens qui se sentent marginalisés, un peu off, un peu différents, j’ai bien fait ça.

Au niveau social, ça m’a donné une place, une crédibilité. Ok, je peux maintenant aller voir des profs d’université, des intervenants sociaux. Exemple, j’ai été donné un atelier à des jeunes autochtones dans le nord du Québec, se sont des étudiants à risques, ils ont vécu des grosses histoires, de drogues, d’abus, les suites de la colonisation, tu vois. Ma méthode irrévérencieuse, un peu « rentre dedans », un peu « tout croche », pas dans la dentelle, ma place est avec ces gens-là aussi. Ça m’a redonné une place dans la société. 

Par rapport au cinéma québécois, tous les producteurs en ville me disaient « je n’ai pas vu ton film, mais ça d’l’air de bien marcher ». Ouais, cool, génial. Je suis sur une bonne vibe (énergie). 

Tu sais, j’en ai marre de produire mes trucs. J’aimerais bien me trouver un producteur ou une productrice, surtout d’avoir des gens qui croient dans mon approche un peu bizarroïde. Et aussi, qui vont m’aider à me botter le derrière (pour le motiver) pour le boulot, pour y arriver tsé. J’attends énormément un côté constructif d’un producteur. Je veux ça!

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Est-ce que faire du cinéma est thérapeutique pour toi?

Quand je travaillais en finances, ma mère était atteinte du cancer, elle était mourante. Et en tant que bonne immigrante, elle voulait que je fasse des études supérieures, que je sois armé pour la vie, que j’ai une bonne situation. Elle me cassait les pieds pour que j’aille faire un MBA à l’Université McGill. Non, non. Un MBA il faut le faire à Harvard aux États-Unis. Alors, pour l’apaiser je me suis dit, mon père est photographe, il a des amis en cinéma, ça m’intéressait un peu, c’était comme un rêve que je n’osais pas caresser. Je me suis dit, je vais faire un diplôme de deux cycles à l’Université Concordia en communication. C’est un an, connexe au commerce, au 2e cycle, ça va l’apaiser. 

Je n’étais pas dans les arts. Donc pour rentrer là, j’ai dû prendre un cours d’esthétique de films avec Marc Gervais. Maintenant décédé, mais qui était un professeur jésuite, qui a écrit sur Bergman, qui a remis le prix œcuménique à Pasolini pour THÉORÈME en 68 qui avait fait scandale à Cannes. Je suis rentré dans ce cours-là, avec plein de gens artsy, avec mon veston et ma cravate. Je me faisais regarder comme un osti de capitaliste, à Concordia en 93. Et je me suis mis à voir des films de Bergman, de Fellini, HIROSHIMA MON AMOUR de Resnais. Ma mère était en train de mourir. Ça, ça m’a blowé mon mind (ouvert l’esprit), ça me donnait la chair de poule, je ne comprenais pas. Je m’y échappais, c’était comme une drogue. C’est ça qui a été la petite graine qui a germé. Je me suis dit « je veux ça ». Mes courts métrages sont tous sur ma mère, à travers la poésie, l’opéra, tous des allitérations des versions de ma mère. Face à la maladie, la vieillesse, l’adultère de mon père, à ses rêves de jeunesse non réalisés. Mon premier long métrage THE WILD HUNT, j’étais coscénariste, mais ce n’est pas moi qui ait eu l’idée, c’était sur les échappatoires comme le jeu Donjons et dragons où je me suis perdu pendant des années. Et tous mes autres trucs, c’est sur la mort, ma mère et le cancer. HAPPY FACE, c’est le premier volet de ma trilogie sur le cancer. 

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En revisitant THE WILD HUNT et quelques-uns de tes courts métrages, ce qui frappe c’est la cohérence dans ta filmographie. Il y a une récurrence de certaines thématiques, comme le monde médiéval, la peur de l’abandon, la culpabilité, et cette idée de mettre en scène sa vie. Tu t’étais même défiguré comme le fait Stan, dans un autoportrait que l’on trouve sur ta page Vimeo. Tu tiens à mettre en scène ta vie?

Tu as bien fait ton travail, chapeau. Tu arrives à le mettre en mots. J’ai des problèmes avec le réel. La réalité m’angoisse. Je suis toujours dans la fuite, la mise en scène, le fantasme, où je vis d’autres trucs. Je tiens ça du cancer de ma mère quand j’avais 5 à 10 ans. 

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Stan, ton alter ego, tu as un projet de le retrouver 20 ans plus tard, dans une chambre d’hôpital à son tour, au cœur d’un thriller psychologique. Peux-tu nous en dire un peu plus?

C’est un gars qui se retrouve fin trentaine avec un grave cancer de l’os de la jambe. Il est en douleurs, il a plein de complications, sa jambe est handicapée, il a 50% de chance de survie. Tout ce dont il se cramponnait dans sa vie, sa job, ses amis, n’ont plus d’effets. À l’hôpital, il se fait amener un voisin de chambre qui est dans le coma, qui s’est fait shooter (tirer) dans les cuisses par une gang de rue. Il envie le côté paisible de l’autre qui dort. Lui, il ne dort pas, il est sur la morphine. Il essaie de gérer les coups, d’être sympa avec tout le monde. Il veut se faire aimer pour qu’on l’aide. Et la nuit, le voisin lui parle. Il y a un visiteur qui vient le voir et le voisin lui répond. Le voisin lui donne son adresse et il dit au visiteur « s’il m’arrive un truc, si je me fais dénoncer, tu vas là-bas et tu tues tout le monde ». Et tu as le gars qui entend ça, c’est son adresse. Le criminel lui dit « écoute, tu arrêtes de chialer et tu te tais ». Alors le lendemain, le gars veut crisser son camp (partir au plus vite). Il veut se remettre à marcher, faire sa physio, ne pas le dire à personne. Il rentre dans un délire, insomniaque, 

menacé par l’autre, en douleurs. Son petit côté sympa, gentil, va s’éroder. Il va vouloir être dans les bonnes grâces du criminel et il va finir par devenir un connard. Il commence à se révolter, à s’aliéner tout le monde. Et là tu te demandes, est-ce qu’il est conscient, est-ce que c’est uniquement dans sa tête. Est-ce que c’est réel, c’est quoi ce bordel. Tu as un gars qui s’est fait shooter, il y a des gars qui passent dans le corridor qui regardent quelquefois. L’autre blessé check (regarde). Il ne sait plus ce qui est vrai, ce qui n’est pas vrai. C’est un huis clos, qui est un peu une descente aux enfers, ça s’appelle L’AUTRE. 

Bien hâte de voir ça, c’est un beau projet!

Merci!

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