Biographie

Karine Bélanger a complété un Baccalauréat en études cinématographiques à l’Université de Montréal. Après avoir oeuvré à la restauration de films, elle s’introduit au domaine de la production. Aujourd’hui, elle travaille à titre de coordonnatrice pour la Coop Vidéo de Montréal et signe son premier court-métrage intitulé Maîtres nageurs.

Filmographie
  • 2016 : Maîtres nageurs (c.m.)
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Entrevue de Mon cinéma québécois en France

Entrevue avec Pierre Audebert pour Culturopoing au festival 48 images secondes de Florac.

Le grand saut : dans le bain du premier film avec Karine Bélanger

 

Chaque année le festival 48 images seconde de Florac, consacré au cinéma québécois et à la francophonie, ouvre sa sélection à un jeune espoir de la Relève. Cette année, c’est donc Karine Bélanger qui, comme auparavant sa collègue Noémie Brassard chez Spira, nous arrive avec une double casquette, puisqu’elle représentait ici aussi la prestigieuse Coop vidéo de Montréal dont nous allons très vite reparler. Auteure – Coordinatrice mais aussi Cinéaste – Sauveteur, cette jeune femme ne manque ni de passion, ni de souffle. En plus de nous faire partager son expérience et de dévoiler son réseau, elle se confie longuement sur la préparation, le tournage et la post-production de Maîtres-nageurs ( 2016 ), son tout premier film court que la Coop présentait aux floracois dans le cadre de sa carte blanche. Un ton singulier et un vrai sens de la mise en scène laissent augurer pour cette nageuse au long cours d’un avenir aussi infini que le bleu de l’été. Alors, en attendant un jour les palmes – pas de raison que Cannes continue de boycotter éternellement cette cinématographie en plein âge d’or puisque le “petit” festival de Florac ne cesse jamais de présenter chaque année les plus beaux fleurons de la jeune création québécoise. Alors au lieu d’attendre que Xavier Dolan devienne vieux et sage avant l’âge… -, bas les masques, basta les tubas et plongeons avec Karine dans le grand bain du passage à la réalisation…

Quand est née ton envie de faire du cinéma et quelle est ta formation ?

( dubitative ) Dès que j’ai fini l’université. J’ai commencé à écrire de petites choses sur mon ordinateur alors qu’en parallèle, j’étais aussi le bras droit d’une productrice. Écrire me permettait de garder un sens créatif, sans impliquer d’autres gens. Quand tu n’es pas encore certain de tes idées, de l’ampleur que cela peut prendre, tu écris un peu pour toi. Tu construis ton scénario et tu vois la vie que tu peux lui donner. Ça a commencé comme ça. Et comme je connaissais un peu le milieu et comment ça fonctionnait, j’ai essayé d’aller chercher l’argent pour faire mon film. J’ai eu la chance que ça fonctionne. Ça a quand même été graduel, surtout pour l’écriture… Une fois les sous obtenus, il n’y a plus qu’à relever le défi. Ça met un peu de pression et j’ai fait le grand saut pour le réaliser.

Quand tu dis que tu étais dans le milieu, tu avais de la famille ou tu connaissais des réalisateurs ?

Pas du tout ! Et je ne suis pas la fille de Louis Bélanger. ( rires ) Il n’y avait pas vraiment d’artistes dans ma famille. Mais on n’a pas besoin de connaître les gens personnellement. Ce qui compte, ce sont les rencontres que l’on fait au fil du temps, sans trop forcer. Il faut d’ailleurs le dire aux jeunes qui sortent de l’école : il faut que ce soit naturel et là, les gens vont voir si tu as le potentiel de faire quelque chose. Je voulais faire ma maîtrise sur le cinéma de Robert Morin et je faisais aussi partie du Comité de projection des films de fin d’année de l’université. Mon idée était de faire venir Robert afin d’établir un premier contact. Donc je m’étais occupée de constituer le jury. Ainsi, sans le savoir, j’avais invité un beau trio de réalisateurs : Robert Morin d’abord, ensuite Denis Côté. À l’époque, il n’avait pas encore sorti Curling mais comme je travaillais pour son frère dans un magasin à cette période, c’est comme ça que j’ai découvert ses premiers films. Denis m’avait ensuite suggéré d’inviter Rafaël Ouellet. Après ça, j’ai gardé contact avec Denis qui m’a présenté sa productrice de l’époque, Stéphanie Morissette qui cherchait quelqu’un à temps partiel. Mais j’étais encore étudiante et il a fallu quelques mois pour qu’on se rencontre. C’est là que je me suis rendue compte que Stéphanie produisait justement ces trois réalisateurs là ! J’ai donc travaillé avec elle pendant un an environ, puis ailleurs à temps plein dans la post production. J’aimais tellement ça que je faisais la post prod le soir pour travailler avec elle la journée. C’est là qu’un poste s’est libéré à la Coop vidéo et j’ai sauté sur l’occasion d’avoir des horaires normaux. ( rire )

Karine Bélanger et Marc- André Grondin au festival 48 images seconde © Éric Vautrey 2018

Depuis combien de temps es-tu à la Coop vidéo de Montréal ?

Ça va faire six ans, plus un an avec Stéphanie alors qu’elle même faisait partie de la Coop. C’est assez inhabituel pour quelqu’un qui sort de l’école. J’ai eu beaucoup de chance et finalement, je n’ai pas terminé ma maîtrise. J’ai annulé deux jours avant le début des examens. Après tout, j’avais l’occasion de travailler avec Robert Morin, alors… ( rires )

Au cours de ces années, quelles sont les péripéties qui t’ont le plus marqué ? Des projets rocambolesques qui n’auraient pas du se faire et qui finalement se sont faits au dernier moment…

Mon film déjà… Je ne pensais pas que j’allais le tourner parce que ça demande beaucoup d’assurance pour aller au bout. Quand j’ai reçu l’argent, un producteur m’a dit : « bon ben maintenant tu dois le faire ! Tu as signé un contrat avec la SODEC… » Mais ce passage obligé s’est très bien passé.

À ce moment là, tu avais déjà constitué ton équipe technique ?

Non pas encore… Je baigne dans le milieu du long-métrage et je connais bien les équipes des réalisateurs, sauf qu’ils ne font pas nécessairement du court-métrage ! Ce n’est pas la même génération. Ce sont des gens que j’adore! Par exemple j’aimerais travailler avec André-Line ( Beauparlant )… Elle est si talentueuse ! Mais elle est à un tout autre niveau… Alors, on fait du court-métrage avec d’autres personnes de la relève, qui passent par les mêmes défis que nous. Ce n’est pas si facile de côtoyer le milieu du long-métrage quand toi tu arrives avec ton court, que tu ne connais personne. Mais c’est à ce moment là que j’ai fait le plus de rencontres. Par chance, on m’a recommandé des gens. Bref, ça a été une construction d’équipe à l’aveugle. Finalement, c’est bien tombé puisque certains sont devenus mes amis et, s’il existe, ils seront sur le prochain film ! Ce qui est fascinant, c’est que sur beaucoup de bons projets écrits et pour diverses raisons, certains n’iront pas jusqu’au bout. Certains se heurtent à un mur ou alors travaillent à d’autres projets, d’autres ne trouvent aucun financement. Et là, tout tombe à l’eau…

Est-ce qu’un de ces scénarios t’as plus particulièrement marquée ?

Je pense en particulier à une adaptation d’un roman de Michael Delisle. Ça s’appelait « D ». C’était sur une petite fille dans une région rurale du Québec des années 50. C’était beaucoup basé sur l’urbanisation des campagnes au moment de leur électrification. À l’époque, le scénario était porté par Kim N’Guyen. On était déjà très contents à l’idée de travailler avec lui et le scénario était super stimulant. Mais là on s’est rendu compte de la taille du budget qu’impliquait un film d’époque. En plus, à cette époque, Kim avait d’autres projets et a fini par laisser tomber. On a voulu trouver quelqu’un d’autre et on s’est rapproché d’Anaïs Barbeau-Lavalette. Mais il restait à faire le travail de scénarisation. Donc on s’est tourné vers ( rire )… Robert Morin ! Il a fait une première écriture qui a emmené le scénario ailleurs. Vers des thèmes complètement différents… Puis Anaïs et sa scénariste se sont mises à travailler dessus pour se le réapproprier. Ça commençait à faire beaucoup de monde sur le projet et après quatre personnes, on aurait presque pu faire deux films différents sur une même base ! D’ailleurs, aujourd’hui on travaille encore dessus pour que ce projet puisse voir le jour, mais rien n’est encore fait. Voilà un exemple assez incroyable qui montre comment peut évoluer un projet avec plusieurs personnes ou à cause de plusieurs raisons. C’est ça le cinéma, tout évolue constamment ! Et notre rôle, c’est d’accompagner ces acteurs et de tout faire pour qu’enfin le film se fasse.

Avec André-Line Beauparlant et Martin Laroche au festival 48 images seconde © Éric Vautrey 2018

Revenons à Maîtres-nageurs que tu as tourné en 2016. C’est un film assez mystérieux, très elliptique sur le plan narratif, presque constitué de séquences autonomes. En tant que spectatrice, ou même en tant que lectrice de scénarios, tu aimes que tous les éléments du récit ne te soient pas donnés ?

J’avoue qu’en tant que spectatrice, tout dépend de mon humeur, de ce que je vais regarder. C’est le genre de choses que je peux aimer découvrir sur grand écran en festivals. Par contre, côté scénarios, ce que je lis est totalement différent de ce que je fais. Le danger, c’est que la forme prenne trop de place dans mon travail. J’ai plus de difficultés à écrire les personnages. Parce que chez moi, les personnages sont des lieux ! ( rire ) Ça complique beaucoup les choses puisque je dois arriver à faire passer mes idées. Dans le cas de Maîtres-nageurs, les 95 % du scénario sont basés sur des souvenirs. Presque tout est arrivé à l’exception de l’élément le plus dramatique que j’ai du rajouter pour l’évolution de l’histoire. C’étaient vraiment des anecdotes qui dataient de l’époque où adolescente, je travaillais comme sauveteur dans cette même piscine. Deux étés plus tard, la piscine a été démolie parce qu’elle était trop ancienne. Heureusement, j’ai pu tourner au bon moment !

On sent en effet beaucoup l’importance du lieu dans ce film, ce qui est souvent caractéristique des films québécois par rapport au cinéma français. Mais est-ce que tu avais aussi gardé des impressions sonores de ces étés ou des gens ? Ou un souvenir de la lumière à certaines heures ? Et finalement, est-ce que tu savais déjà où poser ta caméra ?

C’est surtout pour le découpage que cela m’a aidé de connaître déjà le lieu puisque j’arrivais à décrire l’endroit et la sensation. Tout en cherchant le financement, j’avais été prendre des photos. Ils ont mieux vu ainsi ce que je voulais faire. Il a fallu ensuite transmettre ça à mon équipe, à mon directeur photo. Quand il me parlait de focale, moi je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il voulait dire…( rires )

Ce chef opérateur, c’est Vincent Biron qui depuis a lui-même réalisé Prank. C’est un des directeurs photos les plus connus de la jeune génération…

Oui ! Ici, son rôle a été d’interpréter les bonnes suggestions. Il m’a tout de suite dit « Ton film, je le vois en grand angle ». Donc le film est entièrement tourné comme ça, à l’exception d’un plan, pour raisons de sécurité. Ce que j’aime, c’est que c’est imposé, parce que moi seule, j’aurai peut-être hésité. Pas d’entre deux… Même chose pour la « colo ». On ne voulait pas d’un soleil réchauffant mais au contraire, d’un qui fasse sortir les blancs, qui soit aveuglant. On a donc été dans cette direction là et Vincent l’a défendue jusqu’à la fin. Le son, c’était un peu plus difficile parce que je voulais pouvoir donner une seconde lecture du lieu par le son. Je repensais à l’univers sonore de Bestiaire où certains sons n’ont aucun rapport avec le lieu qui est filmé. Ils sont là pour donner plutôt une sensation. Heureusement, les gens ont réussi à comprendre ce que je voulais dire car le son, ça n’est pas quelque chose qui est facile à décrire. Jean-Sébastien ( Gagnon, producteur de Prank ) a vite compris à la prise de son qu’il n’était pas si important de comprendre tout ce que les personnages racontent, parce qu’on les observe et qu’on garde une distance. On s’arrange pour que ce soit audible mais si on repense à la scène de fête en soirée, on est juste des témoins. À la base, j’avais écrit des répliques mais il y a aussi beaucoup d’impro dans cette scène. À la limite, c’est presque un peu documentaire puisque au cœur d’une fiction très calculée, j’ai pu laisser de la place à l’improvisation. L’histoire ne tourne pas autour de ce qu’ils disent, mais au contraire autour de la piscine l’été, de leur énergie, leurs amitiés. Au cours de l’écriture, je me demandais pourquoi en faire l’histoire d’un seul sauveteur en particulier à qui il arriverait quelque chose alors que la réalité que je voulais dépeindre, c’était la vie de ce groupe là, ensemble. Je ne pouvais pas rentrer dans les détails mais juste capter des moments de leur complicité. D’où ce jeu sur la distance sonore. Ensuite, j’ai eu la chance de faire le montage son avec Louis Collin qui a fait celui de la plupart des films de la Coop. C’est lui qui a amené l’idée des oiseaux. Il y a trois sortes d’oiseaux différents dans le film, notamment dans les scènes avec les poissons.

Avec Julianne Côté sur le tournage de Maîtres-nageur, août 2015.

Pour en revenir à cette structure en séquences autonomes…

Plutôt des tableaux !

Des tableaux avec des ruptures de ton puisqu’il y a une certaine gravité…

Je devais ajouter une charge un peu dramatique. Ces adolescents font la fête parce qu’il s’agit seulement d’un job d’été, où on ne se donne jamais vraiment à 100 %. Ils ont quand même l’obligation de venir travailler le lendemain et surtout, ils ont la vie des gens entre leurs mains. Mais ce n’est pas parce qu’ils font la fête, qu’ils ne sont pas toujours vigilants ou professionnels et qu’ils ne sont pas de bons sauveteurs.

Ils ont quand même le sens des responsabilités…

Exact ! Si je repense à la scène de la pluie, ils peuvent s’adonner aux jeux vidéo et personne n’est là pour les chicaner. Mais en cas de besoin, ils sont quand même présents. C’est sur cette ligne là que je voulais jouer. J’adore quand au cinéma la mise en scène anticipe sur le récit. C’est pour ça qu’il y a peu de plans, mais chacun de ces plans est réfléchi avec un premier plan, un arrière plan, un hors champ. Comme dans la scène de nuit où deux personnes arrivent… Finalement, la seule courbe dramatique, c’est de savoir vers où la scène doit aller. À la fin de la séance d’aquaforme, je crois qu’on dévoile certains éléments. Mais il ne faut pas oublier qu’au montage, l’ordre des plans peut aussi changer, c’est aussi ce qui explique les ruptures !

J’imagine que le montage a été moins long que l’écriture ?

En effet, car on n’avait pas beaucoup de temps. Mais on m’a dit que le film ressemblait beaucoup à son scénario. Ceci dit, certaines scènes n’ont pas été gardées au montage. Ça ne fonctionnait pas et la monteuse a su me convaincre, m‘expliquer pourquoi tel plan ne devait pas être là. Le montage est une autre interprétation du film.

C’est presque donner un autre rythme…

Mais il faut faire confiance au monteur ! Un plan que j’aimais beaucoup, c’est celui qui est devenu ma bande-annonce, la fameuse photo souvenir de groupe. C’était aussi un des seuls mouvements de caméra du film. Il a quand même fallu seize prises pour le réussir ! Au bout du deuxième jour de montage, elle m’a dit qu’elle ne voyait pas où est-ce qu’on pourrait le mettre alors que moi, j’y étais vraiment attachée. Finalement, j’ai choisi d’en faire la bande-annonce, ce qui a réglé la question. Il faut accepter ce genre de choix pour le bien du film, laisser décanter, trouver la bonne structure… Et si certaines scènes sont interchangeables, il y a quand même une logique dans un ordre global. Il n’est pas si facile que ça de tricher au montage…

Maîtres-nageurs ( 2016 )

Revenons à l’esthétique du film, au travail sur les couleurs avec la présence de ce bleu magnétique, les rouges aussi… Il y a une cohérence photographique entre les scènes diurnes et nocturnes. Les couleurs sont aussi exacerbées que les émotions que l’on éprouve quand on a vingt ans…

Ce travail a été particulièrement réussi grâce à la collaboration entre le directeur photo et le coloriste. Moi personnellement, j’aurais eu du mal à aller à fond dans certains choix. Un peu par crainte. Mais c’est ça qui est agréable : faire confiance à une équipe qui t’accompagne jusqu’au bout ! On s’est entendu sur le type de bleu, sur le type de rouge et sur le soleil aveuglant et voilà, on avait notre référence !

Dans le film de Vincent Biron, Prank, il y a aussi un plan au bord d’une piscine, même s’il n’est ni cadré, ni éclairé pareil. Alors, hasard, influence, continuité d’un film à l’autre ?

Ç’aurait pu être une bonne question, sauf qu’en réalité Prank est un film tourné sur du long terme. L’été de Maîtres-nageurs, Vincent avait travaillé sur le court-métrage Mutants d’Alexandre Dostie ( 2016 ). Mais ils ont sans doute tourné en été eux aussi. C’est vrai qu’on a aussi un acteur en commun, Simon Pigeon, qui joue Jean-Sé dans Prank et Simon dans Maîtres-nageurs

On a l’impression qu’il est plus jeune dans Maîtres-nageurs. Je ne sais pas si c’est juste du à sa coupe de cheveux…

C’est ce qu’il me fallait. De 17 à 19 ans. Après, avec l’entrée à l’université, en général ces jeunes arrêtent. Cette jeunesse correspond à la légèreté de l’adolescence.

On reconnaît un autre des comédiens, présent à Florac dans La course navette ( Prix du Public de la compétition court-métrage ), c’est Théodore Pellerin. Vous en parliez hier avec Martin Laroche… Il fait partie des jeunes comédiens les plus en vue ?

Il a commencé par la télévision, puis deux autres courts-métrages l’année de Maîtres-nageurs. Et là, il est tout de suite passé aux longs, qui sont tous sortis en même temps ! Chiens de garde, La isla blanca… Ça a donc été une révélation et j’en suis très contente pour lui. En outre, il jouait aussi au théâtre l’année passée.

C’est un comédien qui est assez grand, assez avantagé physiquement et pourtant il joue des personnages plutôt mélancoliques…

Il est très élancé… On l’approche souvent pour des personnages marginaux, spéciaux. C’est quelqu’un qui joue beaucoup avec le corps. Ce qui me plaisait dans Maîtres-nageurs, c’était de dire aux comédiens « Alors, tu aurais le premier rôle, mais le film n’est pas sur toi »…

Théodore Pellerin dans Maîtres-nageurs ( 2016 )

C’est plutôt un film choral…

Oui, un film d’ensemble. C’était l’énergie globale qui était intéressante. C’est dommage de ne pas avoir pu donner plus de visibilité à certains acteurs, mais c’est en tant que groupe qu’ils fonctionnent. Je les avais tous rencontrés l’un après l’autre pour leur présenter le rôle : « tu seras souvent vu de loin ou même hors champ ». ( rires ) Ils sont un peu comme des pions dans le décor, avec une position stratégique qui sert le propos sur un personnage principal, la piscine !

Que symbolise pour toi le poisson qui ouvre et clôture le film ?

À chaque fois, je déçois mes interlocuteurs par ma réponse. C’est tiré d’un souvenir. C’est arrivé à une collègue qui en a trouvé un au fond. À l’époque, beaucoup de jeunes venaient faire la fête et se baigner la nuit. Alors, ce qui traînait au bord, souvent ils le jetaient à l’eau. J’aimais bien ce gag et j’ai voulu le mettre dans le scénario. Par contre, pour ajouter un peu de mystère, quelque chose qui plane sur la piscine, le personnage de Théodore ne voit pas la blague, mais cherche plutôt à comprendre. Il devait y avoir trois poissons, sauf que j’ai du couper une scène. Il y avait l’idée d’une progression de l’été. C’est là que la directrice artistique a suggéré que le poisson grossisse.

Il y a aussi l’incursion du drame…

Oui, et ces adolescents évoluent, changent et ce poisson symbolise alors la maturité. Pour la fin, ce n’est pas ce qui était prévu au tournage. J’ai donc retourné à l’automne sauf qu’ils ne vidaient pas la piscine pour l’hiver… Il a donc fallu trouver des solutions pour être raccord avec cette histoire de taille de poisson dans une eau peu profonde.

Pour en revenir à la Coop et au son, l’importance du travail sonore y est une constante, presque une signature dans les films de Robert Morin ou les films collectifs des débuts produits par la Coop vidéo…

J’avoue que ce n’est pas la première chose que je remarque, je suis plus « visuel ». Mais c’est intéressant que tu aies fait attention à ça parce qu’on travaille souvent avec les mêmes techniciens, donc il y a une cohérence sonore et ce même dans des films avec des univers très différents, par exemple entre Le problème d’infiltration et Les mauvaises herbes, c’est encore le même monteur son que sur mon film. Aux origines par contre, ce n’étaient pas les mêmes équipes…

Robert Morin aime beaucoup utiliser le son Off par exemple, comme un élément comique ou même critique de l’image et créer un mouvement dialectique…

Dans Le problème d’infiltration, il en joue à l’extrême pour justement nous faire comprendre l’état psychologique du personnage. Dans Maîtres-nageurs ce qui m’importait, c’était qu’on ne sorte jamais de ce lieu. On ne sait pas non plus où se situe cette piscine…

On a le sentiment d’un bocal !

Oui, un lieu isolé et qui pourrait se trouver partout. Ça permettait de construire le paysage sonore alentour avec une voiture qui passe, un chien qui aboie, autant de choses à imaginer. En fait, j’adore le hors champ ! C’est pour ça que pour la grosse scène dramatique, tout repose dessus. Contourner ce qu’on ne voit pas à l’écran en créant l’attention. Il faut donc tout faire comprendre par un hors champ sonore assez puissant. C’est même mieux que de voir ce qui se passe, puisqu’on peut imaginer ce pire comme on le voudrait.

Aux côtés de Daniel Racine durant le débat après la projection au festival 48 images seconde © Éric Vautrey 2018

Du fait de l’effervescence qui règne à la Coop, as-tu eu du temps à consacrer à ton second projet ?

C’est vrai qu’à plein temps, ça m’occupe beaucoup. Il me reste les soirs et les week-ends mais j’ai surtout eu de la difficulté à partir sur autre chose tant que Maîtres-nageurs n’était pas fini. Par finir, j’entends aussi présenter le film dans les festivals, parce que ça occupe beaucoup. Petit à petit, j’ai développé une nouvelle histoire et j’ai bon espoir même si je n’ai pas obtenu les aides à l’écriture, car tout est déjà couché sur le papier et j’ai pu entamer la recherche de financements pour le tournage. Mais on n’est pas passé loin… À mon retour, je vais pouvoir réécrire le projet en espérant avoir gagné en maturité. L’objectif est toujours de tourner à l’automne, si tout va bien, toujours avec la même équipe et pour un format court. Le long est un processus complexe qui nécessite une idée assez riche. Je travaille donc à nouveau autour d’un lieu, une maison à vendre qu’on verra sous plusieurs facettes. Le début est dans le ton de la comédie dramatique puis tend vers l’abstraction avec l’exploration du lieu pour finalement basculer dans le suspense. C’est la différence avec la fixité de Maîtres-nageurs : j’explore ce lieu et toutes ses opportunités, avec aussi beaucoup de mouvements de caméra. Le problème, c’est déjà la place de la mise en scène et ce, dès le scénario puisque tous les mouvements sont partie prenante de la dynamique de l’histoire. Encore une fois, mon personnage c’est vraiment la maison et il va falloir contourner les règles pour réussir à vendre ce film sur un lieu. Il est très difficile de vendre un personnage non-acteur ! Mais cette fois, je m’aventure un peu du côté du genre…

 

Remerciements : Karine Bélanger, Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Caroline Radigois, Jason Burnham, et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos du festival 48 images seconde 2018 : Eric Vautrey. Moyens techniques : Radio Bartas

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