Publié le
27 janvier 2021
Analyse, critique ou billet de blog de l'auteur

Le plus récent long métrage du réalisateur québécois Rafaël Ouellet remonte à 2015, année où il nous proposait son déchirant Gurov & Anna, drame intime sur l’histoire d’amour impossible entre un professeur d’université anglophone avec une troublante étudiante francophone. Depuis, Ouellet s’est consacré entièrement à la réalisation de séries télé, attendant très patiemment le financement de son prochain long métrage, l’intrigant Arsenault & fils, qui nous plongera au cœur du Témiscouata dans le Bas-St-Laurent, où une famille de braconniers sévit.

Mais revenons un peu plus en arrière, plus précisément en 2012. C’est avec Camion, son quatrième long métrage, que Rafaël Ouellet a montré aux yeux du monde tout son savoir-faire, les prix de la mise en scène et œcuménique au Festival de Karlovy Vary l’ont confirmés. Si certains réalisateurs obtiennent beaucoup d’attention dès leur premier film, d’autres développent tranquillement leur art. Comme des artisans, ils peaufinent leur technique en tournant le plus souvent possible, souvent avec des moyens réduits (Le cèdre penché, Derrière moi et New Denmark), sachant que la route vers la reconnaissance est parfois longue et sinueuse. C’est le cas de Rafaël Ouellet. Avec Camion, le cinéaste originaire de Dégelis nous offre une œuvre mature, forte et pleine de lumière.

Avant même que le titre apparaisse à l’écran, le drame a lieu. Germain (Julien Poulin) au volant de son 18 roues tue accidentellement une femme qui arrivait en sens inverse. Broyant du noir, il alerte l’un de ses fils Samuel (Patrice Dubois) pour qu’il retrouve l’autre, Alain (Stéphane Breton), et vienne le rejoindre dans le Bas-Saint-Laurent. Trois hommes écorchés et seuls, qui vont réussir ensemble à remonter la pente, comme ces poids lourds qui au pied d’une route ascendante mettent leurs clignotants et tirent leur charge vers le sommet, lentement mais sûrement.

 

 

Ouellet a composé une trame narrative simple, mais drôlement efficace, avec des personnages attachants dans lesquels nous reconnaissons un ami, un oncle, un peu de nous-mêmes. Ces hommes au nom de famille porteur de sens (Racine), reviennent aux sources pour pouvoir ensuite reprendre chacun leur chemin. L’authenticité de leurs échanges, de leurs confrontations et de leurs souvenirs partagés fondent le récit à même l’imaginaire collectif, où les mâles québécois vont à la chasse et jouent au billard avec de vieux amis. 

 

 

Ces hommes aux grands cœurs sont magnifiés par des performances qui collent à la peau de chaque acteur. Julien Poulin (acteur très connu au Québec, ayant personnifié un imitateur d’Elvis, fédéraliste, dans la très populaire série de films Elvis Gratton du regretté Pierre Falardeau) vulnérable et vrai, montre alors une nouvelle palette de couleurs dans son jeu, représentant à lui seul l’automne dans lequel baigne cette histoire. Un prix Jutra (désormais les Iris, l’équivalent des César québécois) du meilleur acteur grandement mérité. Et les fils, campés par Patrice Dubois et Stéphane Breton, deux comédiens talentueux mais trop peu vus au cinéma, la retenue du premier est balancée par la témérité du second. Ce duo aux antipodes permet au trio de traverser cette grande noirceur, d’être un triangle équilatéral très solide dans lequel chaque coin peut compter sur les deux autres.

 

 

Mais ce qui fait de Camion un film marquant, c’est la qualité de tous les métiers nécessaires pour l’assembler. Il y a dans la direction-photo de Geneviève Perron une grande justesse qui capte la lumière dans chaque cadrage, parfait pour laisser toute la place voulue aux sujets et qu’ils puissent y évoluer. Rafaël Ouellet a lui-même monté son long métrage, ce qui peut parfois être une décision hasardeuse par le manque de recul d’un auteur sur son travail, mais il a parfaitement compris la longueur idéale de ses scènes. Celles qui méritaient d’exister pleinement, qui deviennent de véritables pivots dramatiques, gardent le rythme grâce à ses images où la nature aère ces moments plus intenses. Jamais de lourdeurs, Camion dégage une fluidité qui nous guide vers une finale rédemptrice. 

 

 

C’est la musique inspirée du groupe Mentana, Viviane Audet et Robin-Joël Cool (aidé d’Éric West) qui ont aussi des rôles secondaires dans le film, qui emballe si bien l’ensemble. Leurs notes de guitare et de piano sont les cordes sensibles de Camion. Elles traduisent parfaitement la gamme des émotions que traversent les trois personnages principaux, sans jamais trop les appuyer. 

 


Plus le temps passe, plus Camion s’impose dans la continuité d’une tradition des grands artisans du cinéma québécois. Ce film affirme haut et fort sa nordicité, l’utilisant autant pour nous en montrer toute sa rudesse, mais aussi toute sa splendeur. Camion fait d’autant du bien, qu’ils nous réconcilient avec une image plus positive de l’homme moderne, trop souvent bafoué dans sa représentation au cinéma et à la télévision. Si nous avons bien hâte au prochain film de Rafaël Ouellet, nous pouvons affirmer qu’il a pris sa place parmi les réalisateurs québécois dont le simple nom est désormais un signe de qualité. Un cinéaste aux racines profondes et dont les branches n’ont pas fini de se déployer.

Crédits images

Rafaël Ouellet

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