Entrevue de Mon cinéma québécois en France

 La mémoire,  un mensonge bien organisé : entretien entre Luc Bourdon et Pierre Audebert

Après une rencontre aussi fleuve que chaotique (car entrecoupée d’intrusions du quotidien qui semblaient réjouir notre invité), on se demande bien quel français a pu inventer l’expression « avoir le bourdon ». Pas lui en tout cas car ce passionné de cinéma depuis toujours vient d’abord raconter de l’intérieur la fabuleuse histoire de l’Office National du Film que ses œuvres aiment à chambarder et ainsi compléter via ses productions l’entrevue accordée par Daniel Racine il y a trois ans. La mémoire des anges (2008) s’y dispute La part du diable (2017) sous le regard affûté des auteurs puisqu’il s’agit ici de complicités et d’autant de récits d’amitié. Son travail excède largement ces deux films phénomènes largement commentés au Québec. Il faut sacrément tourner en rond pour circonscrire la masse et laisser affleurer la démarche. Et en fin de parcours, prendre encore le temps  d’écouter son évocation des débuts de l’Art Vidéo au Québec ou ses conseils méthodologiques qui éclairent sa pratique documentaire.

Parce que l’exploration de l’archive est toujours un travail de longue haleine qui se moque des impératifs de rentabilité, il faut donc accueillir comme un cadeau précieux cette parole rare mais généreuse.

Vous présentez à Florac deux films de montage qui dans des styles différents traitent trois décennies de l’histoire québécoise. Dans le premier La mémoire des anges, plus apaisé et d’une esthétique où le noir et blanc domine, le filmage est plus souverain. Le second, La part du diable est un collage plus dynamique et coloré, un patchwork de sources variées, pour évoquer les fameuses années 70. Mais avant ces films, quel était votre rapport à l’histoire de votre pays et aux productions de l’ONF ?

Déjà, ça remonte à loin! Comme tous les jeunes canadiens, les jeunes québécois et montréalais, mon rapport à l’ONF débute très tôt. Ces films là, on les a vus à l’école, sauf qu’à l’époque je ne regardais pas du cinéma mais un film que l’on me présentait dans un grand gymnase. C’était souvent un film scientifique, qui venait briser la monotonie du quotidien, donc c’était toujours une fête que d’y aller. Il y a un moment important dans ma vie, à l’âge de treize-quatorze ans. J’étais plutôt sportif. Mon père était entraîneur et je jouais au hockey. Un après-midi de match, je m’habille et au moment d’ y aller, je passe devant la télé qui diffuse L’Acadie, l’Acadie (Pierre Perrault et Michel Brault, 1971). Là, je suis resté scotché devant l’écran. J’ai regardé tout le film dans ma tenue de hockey et j’en ai oublié le match ! Ces acadiens vivaient là un grand moment troublant de leur histoire et sans même la connaître, j’ai été happé. Je me suis identifié à leur lutte, à leur langue et à sa possible disparition. Ce film m’a foudroyé. Ça en est resté là et ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris l’impact extraordinaire que ça avait eu sur ma vie.

Combien d’œuvres ont été visionnées et combien de temps a nécessité chaque film?

Les deux films sont très différents dans le sens où le premier est beaucoup plus poétique. Je ne savais pas trop dans quoi je m’aventurais si ce n’est de relever le défi proposé par la productrice, Colette Loumède, qui m’avait invité à venir réaliser ce film à l’Office National. C’est le genre d’invitation qu’on ne peut pas refuser ! Elle me connaissait par ailleurs car je lui avais déjà lancé cette plaisanterie : « Pourquoi continue-t-on à tourner ? Pourquoi ne ferait-on pas plutôt des films avec les chutes de tout ce qui a déjà été tourné ? » Par principe écologique, par soucis d’économie et aussi parce que si beaucoup d’histoires avaient été dites, il restait sans doute d’autres histoires à déterrer dans ces chutes là. Au départ, ce n’était pas sérieux, mais on est pourtant partis de cette base là. Pour le premier, ça a été environ neuf mois à un an de visionnement au cours desquels j’ai vu environ 1200 films mais aussi beaucoup de chutes. Pour le second, j’en ai vu à peu près 2000 sur an. C’est un privilège que d’être payé pour regarder des films ! Même bénévolement c’est intéressant... (rire) C’est ce que font tous les cinéphiles. Dans la dernière ligne droite, j’en ai sélectionné deux cents pour La mémoire des anges pour la possible utilisation, soit d’une scène, soit d’une parole, d’un son, d’une musique ou même, d’un seul plan. J’avais donc repéré dans ceux là un élément qui pouvait me servir à fabriquer le film. Et beaucoup de chutes. Ça n’y paraît pas au finale mais moi je sais ce qui est une chutes ou non. Pour le second, j’en ai d’abord sélectionné 370. j’ai réduit à 320 pour n’en utiliser que 200 au final. Là, par contre je n’ai pas utilisé de chutes. J’étais aussi beaucoup plus stressé et j’avais moins de liberté par rapport à l’Histoire, car c’est une époque archiconnue et qui a été très analysée. J’avançais donc sur une chemin bien balisé et pour sortir de l’ornière, il me fallait déjà connaître ces balises, sinon je ne reproduisais que ce qui avait déjà été dit et conclu sur cette décennie terriblement importante. Il y avait eu… un rapport un peu réactif à cette période là ! Il faut savoir qu’à l’ONF, il y a 13 000 titres. Pour le premier film, je n’étais pas parti pour faire quelque chose sur les années 50 ou 60 mais j’ai découvert une cinématographie d’une élégance incroyable, une photographie... Waouh ! Des innovations. Des choses que je ne connaissais pas, bref, tout un monde dont on ne m’avait jamais parlé. J’étais totalement séduit mais j’avais aussi parcouru une bonne partie de la cinématographie de La part du diable qui elle, me semblait beaucoup moins attrayante. J’étais même devenu allergique à cette période, au point que ça m’a joué des tours ! (rires)

La mémoire des anges a un côté plus aérien, comme un songe sorti des fumées d’usine. On retrouve aussi un petit côté « Commonwealth », similaire par exemple aux films d’archives néo-zélandais. Un côté un peu coincé. Ici, la croissance économique semble masquer encore l’endormissement de la société québécoise…

À l’époque, elle n’est plus une colonie britannique mais dans les tréfonds, dans la base de sa culture, on est face à l’empire britannique. L’Office National est d’ailleurs né en 1939 d’une suggestion du gouvernement britannique au gouvernement canadien. On n’avait alors aucun studio de cinéma, ni de cinématographie canadienne. Les britanniques on dit « La guerre s’en vient, il faut faire un effort de guerre pour unir tous les canadiens et les enrôler dans l’armée. » Il fallait faire des films pour appeler ces jeunes gens. Ils ont donc envoyé des gens du British Film Institute, qui ont fondé l’ONF et ont formé des techniciens. Donc ce sont les britanniques qui nous ont appris le cinéma. Chapeau, car ils nous ont apporté beaucoup de choses. La première génération, celle des Brault, Perrault, Labrecque, ont tous eu des coaches anglo-saxons.

Il y aurait donc une filiation du meilleur documentaire britannique, celui de Grierson avec le Cinéma Direct ?

Il est très important mais c’est toute une école qui vient fonder avec lui l’Office National. Apporte une manière de faire… Les premiers à vouloir se libérer de ce carcans là seront plus tard les anglo-saxons avec le Candid eye qui reste une école peu connue…

L’école new-yorkaise est en effet plus importante…

Oui, mais les cinéastes canadiens-anglais aussi. Les francophones y participent aussi, sauf qu’ il y a chez les français une volonté d’affranchissement. Le moment important, c’est quand on va fonder les grandes institutions pan-canadiennes : l’École Nationale de Théâtre en 1960, l’Office National déménage en 1956 à Montréal, CBC et Radio Canada ont leur siège à Montréal, avant de se retrouver dans une grande tour au tournant des années 70. Seul le Conseil des Arts reste à Ottawa. Les studios arrivent donc Montréal, sauf que tout fonctionne en anglais et ce sont eux qui en dirigent la gestion. Un vent de liberté commence alors à souffler et, en 1958-59, il y a une contestation francophone pour obtenir leur section. Une scission a lieu avec la section anglophone, donc une séparation entre deux solitudes qui jusqu’ici coexistaient et vont devenir deux entité,s avec d’un côté le Candid eye, de l’autre le Cinéma Direct. On retient surtout le second alors que la cinématographie du premier est très proche. Il faut savoir que ces équipes vivaient, mangeaient collaboraient ensemble ! Jean-Claude Labrecque a beaucoup tourné avec les anglais, Brault aussi… Il y a donc des vases communicants, avec un effet de contamination respectif.

La mémoire des anges (Luc Bourdon, 2008)

Dans La mémoire des anges, on va voir beaucoup de scènes de la construction de Montréal, tout le cycle destruction-construction. Cette métropole moderne est comme un énorme organisme vivant.

Oui, c’est un énorme chantier où l’Histoire occupe peu de place. Je viens d’un pays où il y a beaucoup d’espace mais où les héritages, c’est à dire le patrimoine bâti, ne valent pas cher. On s’en fout allègrement ! C’est un peu désolant. Ce qui explique aussi la croissance de cette ville, c’est désir de vouloir battre Londres au niveau du patrimoine. Pour quelqu’un qui arrive, qui ne connaît pas Montréal et veut comprendre à quoi elle se réfère, celui qui déjà foulé le sol de Londres va comprendre. C’est toujours une démarche de colons qui veulent rivaliser avec la capitale et prouver à la mère-patrie que Montréal est le centre nerveux de ce Canada naissant, qu’on est capables d’avoir aussi bien, sinon mieux que la capitale. Ce processus existe dans toutes les colonies : on y construit des grands théâtres mais aussi beaucoup de répliques, de références à Londres. Tout ça pour prouver qu’on n’est pas des arriérés, que ce n’est pas la campagne !

Dans La mémoire des anges, la répétition de scènes issues de films et matériaux filmiques semblables amplifie le mouvement général. Tout semble ainsi converger vers le réveil des années 60...

Dans le film, j’insiste beaucoup sur un édifice - ce n’est pas le premier gratte-ciel mais le premier à être moderne – qui s’appelle la place Ville Marie et a été financé par le Vatican. C’est une croix. Parce qu’entre les français et les irlandais, on est profondément catholiques au Québec. Surtout à cette époque où la main de Dieu est sur ce peuple (éclate de rire) et lui dicte chaque geste du quotidien. Un point de bascule arrive : c’est la modernité. On la voit partout : cette idée de raser des quartiers populaires pour faire des grandes structures. Pensez à Montparnasse ! Il faut construire des édifices spacieux et modernes qu’aujourd’hui on juge un peu inhumains, alors qu’à l’époque... Tati en fait une critique extraordinaire dans Playtime ou Trafic. Je ne prétends pas me frotter à ce très grand maître. Dans ce matériel, j’ai trouvé comme axe la construction de la place Ville Marie. Je pioche là-dessus, je le souligne, le surligne pour montrer qu’il symbolise cette bascule vers la modernité.

J’ai l’impression que votre rapport à l’église catholique est résumé par cette séquence où l’on voit un prêtre diriger une chorale, puis les enfants de chœur, immédiatement suivis par… l’âne de la crèche ! L’Église est-elle encore prégnante aujourd’hui à Montréal?

Il y a une scène dans La part du diable qui résume où on en était, c’est tout simplement celle de la destruction de l’église, de cette culture là et de son patrimoine bâti. Montréal était surnommée « La ville aux cent clochers ». Maintenant, on peut les chercher. Il en reste beaucoup mais on ne sait pas quoi faire de ces églises vides. On est passés du « tout catholique » au « tout agnostique ».

Un musée dans la ville (Luc Bourdon, 2012)

Dans un de vos films documentaires consacrés aux grandes structures culturelles, il y a notamment Un musée dans la ville, où il n’est pas seulement question de destruction mais justement de la reconversion d’une église en lieu culturel. Ce lieu apporte un côté spirituel à l’art en même temps que la collection continue de le faire vivre …

On les a en effet reconvertis en musées, en salles de concert… Heureusement d’ailleurs, car les paroissiens, les ouailles, ont payé chaque dimanche la dîme, un tribut à Dieu pour construire ces temples avec des matériaux nobles, du granit, du marbre, des fresques. Ils faisaient appel aux plus grands artisans. Aujourd’hui, on peut prendre la mesure de ces travaux là, parce qu’on n’est même plus capables de réparer un toit car il n’y a pas d’artisan ayant la connaissance pour pouvoir travailler le cuivre comme nos grands-pères, nos aïeux en avaient la capacité. Il y a donc véritablement un problème au niveau de la transmission des connaissances. L’autre point, ce sont ces conversions fabuleuses qui arrivent… Dans le cas du musée, c’était le point de départ du film. Je précise que ce film n’était pas une commande, c’est moi qui ai voulu le tourner. Il n’y a pas de ma part de série sur les grandes institutions, c’est simplement un hasard dans ma vie. Quand la directrice de la Grande bibliothèque me propose de faire un film sur sa construction, comment refuser ?

Ça dénote néanmoins votre préoccupation sur comment se transmet la Culture, sur ce que devient cette culture collective. Il y a aussi chez vous un intérêt sur la façon de la mettre en scène, un aspect scénographique…

Je n’ai jamais eu un plan de carrière et je n’en aurai jamais ! Mais le hasard fait bien les choses car mon dada, c’est l’Histoire. Je voulais devenir prof d’Histoire ou journaliste. Aujourd’hui, je suis documentariste et mes films traitent beaucoup d’Histoire. L’Architecture est quelque chose qui m’a toujours intéressé et est donc prégnante dans tous mes films. Ce sont des centres d’intérêt, des choses très personnelles que j’essaie d’évacuer en les mettant à profit pour cerner un sujet. Je n’essaie pas de faire passer un message, je suis juste à la remorque du sujet. Mais quand tu pars d’un projet muséal pour restaurer une église et la reconvertir en musée et en salle de concerts, ça paraît être du tout cuit. Sauf que ça a été très compliqué pour faire ce film-ci. Houlala ! Ça n’a pas été facile… Un musée, c’est une banque.

On y voit d’ailleurs très bien les problématiques de gestion, de conservation, d’installation puisqu’il y a une réflexion plus générale sur l’espace - et qui se prolonge dans votre mise en scène -, sur comment on montre une œuvre, sur les différentes manières de faire, ce qui rend ce métier passionnant mais aussi sur comment le public va la recevoir…

« Amusez vous ! » qu’il dit, « au musée ! » (rire)

Pour en revenir au diptyque sur l’ONF, les images des deux derniers films ont-elles été retravaillées, recolorisées ou recadrées ?

Jamais ! Interdit ! Il y a ainsi une série de règles entre moi et mon ami et monteur Michel Giroux. C’est d’ailleurs assez exceptionnel car on travaille ensemble depuis le début des années 90 et c’est par le travail qu’on a développé une amitié. C’est la plus belle chose qui peut arriver entre deux êtres humains. Ici, on avait donc décidé de ne jamais modifier le cadre, la couleur ou quoi que ce soit, ce qui veut dire qu’on prend l’intégralité de ce qui nous est proposé. Par contre, on casse tout, comme si chaque film était un casse-tête, un puzzle. J’ai bien repéré des petits morceaux mais on essaie de tout défaire pour qu’il n’y ait pas de suite séquentielle au montage qui puisse apparaître comme un extrait de film. Il nous était interdit de faire des extraits, donc de laisser des plans qui se suivent dans le montage du film d’origine. Si jamais c’est arrivé, c’est qu’à notre corps défendant, on a reproduit le montage. En vérité, on ne l’a jamais fait... à moins que je ne mente par ignorance ! Et toute image trop connotée, trop connue, était évacuée, même quand c’était la plus belle. Ces règles nous ont obligé à être d’une originalité certaine. Faire du cinéma, c’est aussi réinventer, ce qui est inhérent à toutes celles et tous ceux qui débutent. Est-ce que c’est possible ? (chuchotant) J’imagine que oui ! En tout cas, il y en a qui ont réussi.

La part du diable (Luc Bourdon, 2017)

Un des effets que vous vous autorisez néanmoins est un fondu magique qui, sur la même vue urbaine, chasse l’hiver pour faire naître l’été, sans que rien ne bouge… Ce plan venait-il du même film ou d’œuvres différentes ?

Ce sont des chutes que j’ai trouvées. J’ai repéré ces images non-montées d’un - ou d’une cinéaste, même si c’est beaucoup plus rare car on est dans une cinématographie dominée dans les deux cas par des hommes. C’est depuis une bataille qu’elles ont heureusement gagné. Je me retrouve donc devant ces deux chutes séparées. Dans le processus de fabrication de La mémoire des anges, dès le repérage, il fallait que je trouve des images me permettant d’avancer dans le temps. Deux images comme celles-ci, tu vas donc les sélectionner et les téléverser en salle de montage, dans l’éventualité de pouvoir s’en servir. Il y en a plusieurs que j’ai repérées mais qui elles, n’ont pas été utilisées au contraire de ces deux là. Juste par un fondu, Magie !, on passe de l’hiver à l’été. Au Québec, il y a des différences en termes de température et de paysage entre les saisons. On a beaucoup de neige et quatre saisons très marquées donc c’était incontournable, il fallait que je puisse baser mon récit sur ces saisons qui défilent et qu’on puisse le sentir à l’écran.

Peu à peu, cette vision du bonheur façon carte postale de la fin des années 50 cède la place à de vrais plans du peuple sur les chansons profondes ou plus acides de Raymond Lévesque, notamment celle tirée du film d’Hubert Aquin. Avez-vous travaillé bande son et montage image séparément ?

Sur les neuf mois de montage, il y a environ six mois de préparation pour découper tous les films, les nommer et constituer un nouveau chutier, à la fois sonore et visuel. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas commencer à monter tant qu’on n’a pas terminé ça. On part d’une idée de séquence. On en trouve le cœur, qui peut être tout à la fois une action significative, une parole. Une musique aussi. Dans les deux films, ce sont deux méthodes différentes pour toutes sortes de raisons et de quantité d’images. Pour la musique, on ne met pas une musique pour monter des images par dessus. C’est d’abord une séquence. On ne fait pas de plaquage. Mais parfois, c’est différent. La scène avec Igor Stravinski en chef d’orchestre, c’est lui qui dirige, donc là le tempo est important. La musique devient alors l’un des acteurs donc on travaille la séquence différemment. Stravinski pioche avec les musiciens et à un moment, ça décolle !Tout ça se fait dans une synergie entre l’image et le son. Ça n’est pas du vidéo-clip, ce n’est pas cette énergie là. D’ailleurs, on met souvent la musique à la dernière minute et on a le choix. Dans ce qu’on a amené, il y a peut-être quinze pièces. On va en essayer une et là, ça fonctionne avec l’image qu’on a montée. Le mot fondamental de ce travail là, notre verbe premier, c’est essayer. Donc on essaie tout ce qui nous passe par la tête, même s’il y a quelque chose qui fonctionne très bien et qui donne une couleur à la bande musicale, on va l’enlever et en mettre une autre, puis une autre, et encore une, juste pour voir comment le matériau réagit à cette musicalité là. Des fois ça donne des choses épatantes, d’autres fois, des révélations qui font qu’on passe de notre première idée à une nouvelle interprétation par l’application de cette couleur là, de cette autre musicalité. On a maintenant deux choses, aussi on verra en temps et heure. On met ça dans le tiroir, on l’oublie et on passe à l’autre séquence.

On progresse séquence par séquence. Pas chronologiquement, de A à Z, mais dans le chaos. On accumule ainsi les séquences et à un certain moment, on en arrive au point critique où il faut mettre sur rail tous ces petits wagons. Là commence véritablement le montage. Une fusion s’opère. Dans La part du diable, le premier montage chronologique durait 5h20. En dix jours, entrecoupés de plusieurs jours de pause durant lesquels je faisais le montage dans ma tête ou sur le papier, on a réduit et fusionné. Là, il faut avoir le cœur solide ! Penser à ce qu’on gagne en enlevant une séquence et non à ce qu’on perd. Parfois, on ne gardait qu’un seul élément dans tout le montage final. Alors, ce qu’on enlevait devenait potentiellement le nouveau stock shots où on pouvait aller fouiller pour prendre des éléments. Tout ça nous donne un Essai, pour lequel nous n’avions pas d’autre plan de bataille que l’efficacité de chaque séquence. Et tout au long de ce montage, on était capables de rire ou de pleurer, ce qui agaçait pas mal nos collègues : « Vous êtes fatigants, vous êtes toujours en train de rire ! -Comment, on n’a pas le droit de jouer ? Non ! Le cinéma, c’est sérieux ». Et bien nous, nous sommes payés pour jouer. Sinon, on s’emmerde ! On essaie toujours de se surprendre nous-mêmes, en tant que spectateurs, parce que si ça fonctionne pour nous, il y a des chances que ça soit contagieux. C’est notre seule règle. (il rigole) Enfin, non, pas vraiment...

La mémoire des anges (Luc Bourdon, 2008)

On a l’impression qu’ici, ce travail de sape de l’imagerie canadienne prépare l’avènement d’un vaste mouvement social. La séquence nocturne et jazz montre aussi que c’est la conjonction avec l’air du temps. Toujours ce fameux vent de liberté des années 60 qui va être le détonateur de la Révolution tranquille, symbolisée pour moi par cette longue séquence d’incendies.

Ici, c’est un incendie avec mort d’homme – ce qui nous permet de faire apparaître un ange et de survoler la ville. On est vraiment très contents de cette séquence. La rencontre avec Stravinski a été troublante. Quel homme ! Enfin il faut savoir qu’une fois que tout est terminé, le montage final ne reste que théorique. Il faut alors joindre chaque ayant droit, lui faire signer un contrat d’achat à chacun...

Est-ce qu’il y en a qui n’ont pas voulu jouer le jeu et qui ont refusé ?

On a eu des procès, mais des procès utiles ! Les avocats aiment beaucoup nous voir jouer avec tout ça parce qu’il y a un paquet de cas de jurisprudences, de problèmes légaux qu’on attaque de plein fouet. Par exemple, au début de La part du diable, Jean Paul Lemieux peint une toile. Pour la société représentant les artistes, cette toile a un prix. Par contre, pour les avocats de la défense, on ne peut pas parler d’ « œuvre » puisqu’elle n’est pas terminée. C’est donc intéressant de débattre pour déterminer ce qu’on peut faire dans ce genre de cas. Autre exemple dans La mémoire des anges : je n’ai pris que les pieds en train de marcher d’un acteur qui avait le premier rôle d’une fiction. Quand on l’a contacté, c’était une personne d’un certain âge et qu’on n’appelait plus. Il faut donct signer un contrat avec l’Union des artistes qui représente les comédiens. Sauf que lui refuse le rôle muet et demande le cachet correspondant à celui d’un premier rôle ! À l’ONF, Sylvia, la personne chargée de rechercher les droit refuse tout net. Il appelle alors l’Union des artistes qui, depuis des décennies, a du mal à statuer sur ces cas là. En plus, à l’époque où il a tourné le film, ce syndicat des artistes n’existait pas encore. C’est pour ça que là les avocats sont contents d’aller jusqu’au procès. Un compromis est trouvé et les deux parties en sont très heureuses parce que ça fera ensuite jurisprudence.

Moi, je ne m’occupe pas de cette partie. Il y a des spécialistes. Mais j’en tiens compte dès les premières mesures du montage. Par exemple, dans La part du diable, j’ai découvert que j’avais les Rolling Stones en concert, avec à l’extérieur une manifestation qui dégénère. Une séquence truculente où la police tabasse des jeunes qui se font passablement défoncer. L’ensemble fonctionnait très bien. Mais dès la première journée de montage, en me redemandant quels étaient mes incontournables, j’ai pensé que ça allait être un enfer pour joindre les Stones et un prix… D’ailleurs, au jour d’aujourd’hui, ils ne nous ont toujours pas répondu ! Stones ou pas, ça n’avait pas d’intérêt dans ce montage de 5h20 et j’ai donc privilégié le film. Mais si j’avais voulu le garder, j’imagine aussi les montants faramineux exigés par les avocats au regard du temps passé (rires). Je ne suis pas de la partie mais j’en ai des échos, j’entends des rumeurs… Je sais entre autres que les avocats m’aiment beaucoup parce que tout ça leur est utile. Avec toutes ces archives sur lesquelles ils travaillent, c’est toujours du cas par cas et par conséquent, une montagne de problèmes !

La part du diable (Luc Bourdon, 2017)

Au sujet des emprunts, j’ai repéré des images de Gilles Groulx ou d’Arthur Lipsett. Vous sentez-vous une filiation avec leur travail , avec Very nice very nice (1961) notamment ?

Lipsett est un grand maître. C’est avant tout un cinéaste expérimental, c’est son essence. J’aurais aimé avoir sa liberté. Enfin je l’ai eu aussi, mais pas dans le même champ d’action. Ce n’est pas simplement sortir des normes : l’Expérimental travaille la matière même du cinéma. La fabuleuse école américaine peut nous le prouver. C’est défier toutes sortes de manières de faire du cinéma.

Mais Very nice very nice est composé d’éléments récupérés eux aussi dans un chutier…

Ben… Ça tient pas la route ce que je viens de dire ! (éclate de rire) Mais c’est vrai que pour l’époque c’était révolutionnaire. Il faut recontextualiser. Il y a tout un travail sonore décalé… Mais Lipsett est beaucoup trop grand pour que je puisse parler de parenté. Gilles Groulx est une source d’inspiration fabuleuse. Je l’ai connu et j’adore tout son cinéma. Lorsqu’on est arrivé à la séquence du match de hockey de La mémoire des anges, extraite entre autres d’Un jeu si simple (1964), lorsqu’on l’a découpé, nous avons reçu une leçon de montage. Détricoter l’ouvrage de quelqu’un d’autre nous permet de comprendre comment il a été construit. Groulx, c’est... le Miles Davis du cinéma ! C’est fascinant cette virtuosité, cette liberté, cette fraîcheur qui ne se dément jamais. Quand on a eu défait, décomposé et déchiqueté chaque plan d’Un jeu si simple l’un après l’autre, là on s’est aperçus de la vivacité de la coupe et de son esprit. Ça, c’est de la grosse paie !

Dans La part du diable, il y a beaucoup de luttes sociales et politiques. Ce sont un peu tous les enfants qui crapahutaient en liberté dans La mémoire des anges, que tout d’un coup on n’arrive plus à tenir…

(rire) Ah ben, les soixante-huitards, ce n’était pas qu’en France. Ce grand cri de liberté a explosé partout, tout simplement parce que les jeunes étaient majoritaires. On le voit dans le film : ça pète, ça crie, ça chiale, ça exige, ça demande, etc. C’est là qu’il faudrait continuer le film pour voir ce qui leur est arrivé à ces soixante-huitards.

La part du diable (Luc Bourdon, 2017)

Le film se termine sur des images de Denys Arcand sur son films sur la défaite au référendum de 1980 et que je n’ai toujours pas pu voir…

Oui, c’est Le confort et l’indifférence (1981) sur la désillusion des tenants du Oui et de l’indépendance du Québec. C’est un film incontournable, aussi ai-je essayé de ne pas trop m’en servir. Il est ultra connu, connoté. Donc je finis plutôt sur une baleine filmée par Cousteau (rire). Une production ONF pour laquelle il était venu filmer le St Laurent, un fleuve qui n’est comparable qu’aux plus grands comme l’Amazone. Cet immense plan d’eau est au cœur de notre société car la Nouvelle France s’est construite le long de ses berges. Donc c’est important qu’il vienne filmer ça en 1980. Je me souviens du film, mais je l’ai regardé en temps réel comme tout le reste. Pas question d’aller vite, de zapper, entre autres pour pouvoir repérer des sons.

C’est là que je tombe sur cette baleine prise dans les filets. Connaissant un peu l’état des pêches dans les eaux internationales, celui de la faune aquatique dans les océans et plus particulièrement dans le golfe du St Laurent, j’ai tour d’un coup une révélation. Si depuis 1980 des baleines sont prises dans les filets de la pêche industrielle, ça en fait beaucoup de massacrées ! Il faut savoir qu’avec la morue, la baleine, les phoques, les cachalots - peut-être pas les cachalots mais en tout cas la baleine grise -, il y en avait tellement qu’on pouvait traverser le fleuve rien qu’en marchant sur les poissons (rire) pour citer l’anthropologue Bouchard. Mais voilà, tout ça a été mis à mal et a presque disparu. Il n’y a plus de morue, la baleine on essaie de la sauver… Donc j’ai vu là quelque chose d’intéressant. Mais comment mettre dans un film une baleine prise dans un filet ? En tâtonnant, parce que le film s’est fait comme ça. Mais dès le début, quand j’ai montré ce plan à Michel, il y avait pour nous une résonance immédiate, ce qui fait qu’on ne l’a jamais éliminé totalement, parce que c’est une baleine et qu’elle est étrangère à notre culture quoiqu’elle fasse partie du paysage. En fait, on ne parle jamais de baleines entre nous ! (rires) À travers tout le film, quelque chose d’étonnant nous a rattrapé : le film se finit sur cette séquence et trois mois plus tard, une baleine meurt, puis deux et puis trois. Et pendant tout cet été là, on n’entendit parler que de baleines. 17 ont été retrouvées mortes ! L’intuition qu’elles étaient en danger à cause de la pêche commerciale était donc bonne. Ils ont fait des études pour en trouver la cause et la conclusion ce sont les filets.

C’est fou mais il y a un paquet de trucs en cours de montage qui on fait que sur la durée des trois ans qu’on a pris pour faire le film, beaucoup nous ont rattrapé : Me too, la place des Premières Nations dans l’actualité car aujourd’hui, ils sont très présents. Ça fait longtemps qu’ils revendiquent sur la place publique mais on ne les a jamais écoutés ! Maintenant, on les écoute. D’entrée de jeu, en faisant les repérages, je cherchais des choses que je savais rares. Je ne cherchais pas la parole amérindienne, elle était déjà là et partout, filmée par Groulx, Perrault, par les fondateurs du cinéma québécois. J’étais étonné de les trouver là. Pour faire ce type de film, tu visionnes, tu ne réfléchis pas. Tu prends des notes, puis tu arrêtes quand la journée est finie et le lendemain tu recommences pareil. Ce n’est qu’après un certain temps quand on relit ses notes accumulées, qu’on voit les thématiques qui ressortent. Mais là, j’en avais au moins vingt-cinq, sur des choses où j’avais une masse critique. La place des Premières Nations s’est imposée d’elle-même au film. Les personnes ayant vécu les années 70 et qui ont vu La part du diable, me disent « C’est quoi ces amérindiens là, d’où sortent-ils ? Ils n’étaient pas là en 1970 ! » Je répondais qu’ils étaient là mais qu’on n’en parlait pas. « Mais pourquoi ils sont dans ton film alors qu’on n’en parlait pas ? ». Parce qu’ils existaient quand même !

Quant à la parole des femmes, sur les 320 films, 20 ou 25 sont faits par des femmes. Alors je me gratte la tête parce que ça, je voulais le souligner. L’avènement du féminisme se fait à cette période là ! La libération de la femme, sa revendication d’une place dans notre société, j’y tenais. Alors j’ai cherché mais… il n’y avait pas grand-chose. De même qu’en 1969, on dépénalise l’acte sexuel chez les homosexuels. Avant, la sodomie était passible de peines d’emprisonnement. C’est le Bill omnibus qui la dépénalise. J’ai bien cherché une image homosexuelle mais je n’en ai trouvé aucune. En 1970, elle n’existe pas ! Les lesbiennes, les transgenres, oublie-ça !

Luc Bourdon au festival 48 images seconde de Florac en 2019

Mais à l’époque, il n’existait pas de catalogue en ligne de l’ONF pour inventorier facilement ces films de femme. Ça m’amène vers la question de la diffusion de ces productions ONF. Si toi tu les a vues à l’école, est-ce que la population y avait accès par exemple via la télévision ou alors ce n’étaient pas des images diffusées fréquemment ?

Au Canada, chaque ville importante avait sa cinémathèque ONF où tu pouvais aller chercher tes film et les emporter à la maison. Chaque école ou bibliothèque faisait partie du réseau et la télévision en diffusait aussi. L’Office National faisait partie de notre quotidien. On en avait conscience en voyant ce petit logo sur ces films d’animation de McLaren et compagnie. Sauf qu’on ne réfléchissait pas en termes d’auteurs, de références ou de cinéphilie. On était un bon public qui regardait ces films comme divertissement ou pour en savoir plus sur certains sujets. À part ça, les paroles amérindiennes de La part du diable, elles ont tous été filmées par des blancs ! Zacharias Kunuk n’avait pas encore commencé à filmer... (On cause en aparté de You are on indian land (1969) de Mike Kanentakeron Mitchell).

Les productions de l’ONF sont de plus en plus nombreuses, à tel point que comme votre mineur, il faut sortir la frontale pour se repérer dans la jungle des images. Dans un de vos films très courts, le peintre Marcel Barbeau dit que « Trop travailler détruit les œuvres », vous n’aviez jamais cette angoisse là, de perdre le sens de l’image, de crouler sous les chute ?

Non. Passer neuf mois en salle de montage, c’est rare. Et quand on a une masse, ça fait juste un terrain de jeu encore plus grand à parcourir. Avoir la légitimité et le mandat pour faire le « tour du jardin », c’est un très grand privilège ! La seule pression qu’on peut avoir, c’est peut-être la peur d’emmerder le public.

La part du diable (Luc Bourdon, 2017)

Justement, une question du point de vue du public : qu’est-ce qui différencie ici le travail de réalisateur de celui de monteur et comment travaillez vous avec Michel Giroux ?

La seule différence, c’est que Michel, lui, n’a pas vu les films. Je suis un peu le traducteur. Lorsqu’on arrive en salle de montage, on n’a plus le temps de le regarder en temps réel. C’est là que je suis mes notes et je lui parle du contexte. Parfois, on va regarder des bouts de films pour qu’il comprenne l’essence de qu’on est en train d’en extraire. L’autre aspect, c’est que lui manipule. C’est le conducteur de la machine. Moi, je ne sais pas comment faire fonctionner la salle de montage ! Et je ne veux pas le savoir… Pendant qu’il bidouille des choses très techniques, j’ai le temps de réfléchir au plan ou à la séquence suivante. On est donc très complémentaires, sans se marcher sur les pieds car nous avons deux fonctions très différentes. Mais il faut qu’il y ait un dialogue. On attaque un film pour lequel nous devons regarder tous les deux un même horizon.

En gros, une journée se passe comme suit : une fois qu’on a tout découpé, on arrive alors le matin très tôt, beaucoup plus tôt que les autres, c’est à dire qu’à sept heures on est déjà là. Parce que le matin on est vraiment frais, éveillés. Jusqu’à midi, on va monter une séquence. On fait une pause, on déjeune et après ça, on prépare le lendemain en ramassant tous les éléments. Ou alors on va fignoler une séquence faite l’avant-veille, l’améliorer. Donc le lendemain, on pioche dans ces éléments préparés et c’est reparti. Le plus important, c’est qu’en fin d’après-midi, on fait du vélo ensemble. En général, on s’arrête chez Michel, on prend une bière en debriefant. On discute de la signification de ce qu’on a monté, des émotions qu’on a eues, de la résonance qu’ont ces images. On parle d’à peu près tout, même de notre méthodologie s’il faut la rectifier. Finalement, l’espace le plus important n’est pas en salle de montage mais hors les murs, à échanger sur ce qu’on fait, sur notre ressenti. Ça sert aussi à évacuer les émotions. Bon, on ne l’a pas fait systématiquement tous les jours mais au moins trois ou quatre fois sur les cinq jours de la semaine de travail. C’est sûr que le vendredi, on était moins efficaces et on s’en tenait plus à la bière (rire).

Dans la part du diable, le montage paraît plus libre. L’opposition des plans y remplace plus souvent l’association. Ce conflit des images génère des émotions fortes. C’est la synthèse « forme-couleur-plaisir » chère à Marcel Barbeau et que vous filmiez si bien dans ses toiles. Quelle était la direction générale préalable à leur sélection ?

J’aurais de la misère à répondre à la question car ce n’est pas rationnel. Mais je sais une chose : la liberté ou la naïveté avec laquelle on a abordé La mémoire des anges, sans références à la période puisque j’ai tout mélangé, est infiniment plus poétique. Ça tourne en rond, autour de la ville quand La part du diable est beaucoup plus linéaire. Le rythme y est plus soutenu, j’ai aussi plus de matériel et enfin, la pression est plus forte du fait de la période. Mais comment en est-on venus là ? En allant coudre des images.

La part du diable (Luc Bourdon, 2017)

Il n’y avait pas de ligne directrice convenue avec la productrice ?

Non. Moi, je n’utilise pas les films pour prouver une théorie découverte en phase de recherche. Ce que je dis dans ma proposition de montage c’est « Voici ce que j’ai trouvé, voici hypothétiquement ce qu’on pourrait faire ». L’écriture d’un A à Z est donc impossible. On trifouille, on expérimente, on explore, on tatillonne. Nous, on appelle ça de l’art plastique. Comme des enfants, on fait du collage. Il y a beaucoup d’erreurs et des erreurs naissent beaucoup de choses intéressantes !

Toujours dans cette décennie où les peuples autochtones voient leur territoire remis en cause, il y a cette scène de forage montée en alternance avec la vie d’une famille inuit. Eux, on les a obligé à « laisser le présent pour l’avenir » comme le dit la chanson !

Juste avant ça, on entend Georges Dor qui est un chansonnier et parolier, mais aussi réalisateur, qui chante cet avenir qui s’en vient comme une grande chevauchée ! (rire) L’ampleur de ce qui s’en vient est bien ressenti mais pas encore vécu. La plate-forme, c’est un forage pétrolier de la compagnie Esso quelque part dans ce grand Nord vaste et large. Là, je n’essaie pas d’être exact géographiquement pour chaque séquence. C’est une opinion qui fait voir par deux films ayant des sujets complètement différents, ce progrès qui ne s’arrête jamais, qui va saccager un milieu naturel et avoir un impact très clair sur l’ensemble des populations. La civilisation arrive avec des puits de forage, des fonctionnaires et le choc civilisationnel qui s’ensuit va être à leur au grand désavantage des autochtones. Ils vont être déportés, tassés comme du bétail. Ils n’ont aucun droit sur ces territoires qu’ils habitent depuis des millénaires. Aussi, leur tradition de vie intimement liée au territoire va s’en trouver bousculée, saccagée. Ils vont adopter nos manières, notre alimentation et ça va causer beaucoup de problèmes. Pas systématiquement pour tous les individus, mais ce ravage on peut le voir fortement et très clairement dans les peuplades du Nord. Du Sud aussi sauf que c’est comme si on ne les voyait pas. On commence à peine à se réveiller sur l’état à tous points de vue de la civilisation amérindienne. Déjà, on comprend enfin que c’est une civilisation...

Non seulement on sort plus volontiers à la campagne (l’americana, le bois, la vie rurale) mais le film s’exporte aussi volontiers (guerre du Vietnam, mai 68 à Paris). Là aussi quelles productions tournées à l’extérieur du Québec pour l’ONF ont-elles été utilisées et pourquoi utiliser ces images pour parler du Québec ?

Parce que c’est le contexte. Le coup d’envoi de Mai 68 est terriblement important et c’est Paris qui le donne, je ne m’en cache pas. Pourquoi ces images précèdent-elles la guerre du Vietnam ? Parce que 68 est tributaire d’une contestation face au Vietnam et il est important de le souligner. Elles faisaient aussi partie d’images potentiellement intéressantes à utiliser. Certes, j’avais aussi Prague ou beaucoup d’autres de ce brassage international qui participe d’une même chose, le soulèvement de masse d’une jeunesse qui voulait casser le cadre patriarcal ultra lourd. De Gaulle en est ici le symbole mais on retrouve ce genre d’animaux un peu partout ! Ils règnent en rois et maîtres. Il y avait donc une volonté très ferme de les les évacuer et de prendre le pouvoir pour changer les choses. En écho, on a le discours plus tardif d’un jeune militant qui s’adresse à des étudiants en grève. De notre côté, c’est pas parce que mai 68 se passait en France que nous avions la nécessité de le reproduire par mimétisme. Le mouvement avait déjà démarré mais le momentum de cette action là a eu lieu à l’automne, en octobre 68, lors de la grève générale des étudiants. Prague était là aussi, le Mexique et ce massacre de plus de deux cents étudiants avant les jeux olympiques. Autant de traces que j’ai trouvées dans certains films et il en a fallu beaucoup pour l’évoquer, surtout dans la version de 5h20 où c’était plus souligné. Quand on en est arrivé au montage final, cette évocation est plus succincte mais elle est là. Elle est importante et représentée par Paris. Ça aurait tout aussi bien pu être des images de Nantes où d’après une amie qui était présente, ça bardait sec ou d’autres villes encore. C’est donc en écho à tout ce mouvement qui a changé le cours des choses.

La construction économique se double cette fois de l’histoire du combat pour l’indépendance. Deux populations se croisent comme endormies dans un très beau plan du film...

(je tente une description, il réfléchit, perplexe) Je ne vois pas de quel plan il s’agit, mais bien sûr les solitudes sont toujours présentes, elles existent encore un peu trop ! C’est normal ce sont deux cultures différentes, en fait trois, et même plusieurs… Dans tout le brassage des idées qu’il y a en ce moment sur l’immigration, on est bien mal placés nous les nord-américains ou les sud-américains pour dire quoi que ce soit ou faire la morale. Nous sommes une terre d’immigration et qui a été rendue possible parce qu’il y a eu génocide et qu’il est encore actif. Bref, c’est toujours un peu curieux d’entendre parler de la revendication d’un territoire qui nous appartiendrait alors qu’il ne nous appartient pas.

La part du diable (Luc Bourdon, 2017)

Dans ce magma d’images apparaissent de grandes figures de la culture québécoise : l’acadien Zachary Richard sur fond de parachutage, Robert Charlebois, Roland Giguère et le poème « La main du bourreau », l’écrivain Michel Tremblay qui a notamment permis de redécouvrir le parler populaire et l’art du sacrement. Pour autant la frustration de ne pas les connaître ou reconnaître a plutôt suscité chez moi la curiosité. Mais j’avoue que je me demandais comment le public français allait appréhender ces figures inconnues…

C’est qu’un politicien, ça ressemble normalement à un politicien qui fait un discours politique. Qu’il s’appelle Lévesque ou Mitterrand, ça demeure un homme politique avec une parole politicienne, qui elle-même peut être très incarnée comme complètement désincarnée. Ça dépend des époques. On a connu un Mimi désincarné mais on l’a connu aussi avec une parole forte. Idem avec monsieur Lévêque qui symbolise un vent de changement, qui incarne une possibilité qu’on n’avait même pas envisagée et lui met des mots là-dessus, sur l’affranchissement nécessaire dont nous avons besoin.

Les chanteurs, les dramaturges, les acteurs etc... je ne les ai clairement pas identifiés car je ne voulais pas me couper de ceux qui ne les connaissent pas. Ça aurait été une immense collection de mots qui culpabilisent ceux qui ne les connaissent pas. Tu te retrouves devant Michel Tremblay sans savoir qui c’est, tu te sens ignorant. J’en avais déjà éprouvé une grande peur au moment de La mémoire des anges donc cette fois je n’ai pas hésité à le refaire. Il n’y a donc aucune information sur qui apparaît à l’écran. Mais du coup, ça a donné quelque chose d’absolument magique dès le premier soir. Le jeune public m’a dit : « Pour la première fois, je me suis senti concerné. On ne me disait pas « Toi tu ne peux pas comprendre, tu n’y étais pas ! ». Ainsi les spectateurs ont toute la liberté de connaître ou non sans qu’ils soient jugés pour autant. C’est le chemin que j’ai décidé de prendre, en connaissance des dangers potentiels mais qui finalement se sont évanouis dans le paysage. Certains sont sans doute frustrés qu’on ne leur donne pas tout cuit tout ce qu’ils voient, mais plus nombreux encore sont les ravis parce que libres à eux de trouver. Robert Daudelin, un des plus grands critiques de cinéma québécois et ancien directeur de la Cinémathèque québécoise, disait du film qu’il est intéressant dans la mesure où il te donne le goût de chercher, de creuser, de faire ta propre enquête après la projection. Si le film t’a interpellé, tu as toutes les sources pour comprendre.

Pour Michel Tremblay, c’est lui qui a amené le joual. C’est lui qui symbolise avec Charlebois l’idée de mettre sur scène cet argot, ce langage du peuple interdit de représentation. En 69, il y a eu une révolution et ça donne cette liberté là à une nouvelle génération de créateurs, d’y aller avec ce qui est essentiel pour eux. Casser le moule, amener du nouveau et être eux-mêmes. Ça passe donc par le joual. Sinon tu parlais tout à l’heure de la baie James ( confondu avec le forage pétrolier ), en fait on la voit dans le film. C’est ce grand chantier où la scène finit sur un long travelling sur des cabines de logement de travailleurs et on finit dans une cafétéria avec des ouvriers. Tout ce qu’on voit avant, c’est l’immense territoire-chantier de la baie James. On fait beaucoup dans l’hydro-électricité, d’ailleurs les chinois s’en sont inspirés.

La part du diable (Luc Bourdon, 2017)

Par rapport aux images des auteurs, quelle était la position éthique par rapport au droit à l’image, de remonter des images tournées par d’autres et finalement quel est le lien entre ces auteurs et l’ONF?

Quand on signe un contrat avec l’ONF, on cède tous nos droits au producteur. La belle contradiction de la chose, c’est que si j’ai pu faire ce film, c’est parce qu’ils avaient signé le même contrat que celui que j’ai signé et donc il était possible de se les approprier. D’un point de vue moral, ça nous pose comme fabricants de ce type de montage, une grande responsabilité qui est celle de ne pas trahir la parole des images des auteurs, de tout manipuler avec beaucoup de soin car il est facile de faire dire le contraire à une image. D’ailleurs, si je pouvais te montrer une séquence que j’ai amenée, c’est une scène où on donne le « oui » comme vainqueur du référendum de 1980.

Mais cette peur de déplaire aux auteurs était très forte les soirs de premières, autant pour moi, que par Michel ou la productrice. Au contraire et pour notre plus grand plaisir, les deux films ont été accueillis à bras ouverts. Évidemment, le stress était plus grand pour le premier, mais la joie était partagée avec ces cinéastes qui retrouvaient leurs images dans un autre contexte. Parmi eux, il y a des gens importants de notre cinématographie et c’était un bonheur de les voir le recevoir comme un cadeau qui a par ailleurs permis de remettre à jour plusieurs titres censurés ou maltraités qui se retrouvent aujourd’hui sur la plate-forme web de l’ONF. On n’a pourtant pas fait le film pour en faire la promotion, mais c’est pourtant ce qui est arrivé. L’engouement pour La mémoire des anges a été tel que toute une cinématographie est sortie de l’ombre, a trouvé un nouveau souffle et un public désireux de les voir. Beaucoup de titres ont ainsi repris vie comme si dans chaque bobine il y avait des anges endormis. Ils n’existaient plus et ont refait surface. Il y a des cas vraiment incroyables de films complètement oubliés qui sont redevenus actifs en ligne au quotidien. Ça, j’avoue que ce sont des effets secondaires ou des dommages collatéraux fabuleux à vivre.

Le film montre aussi le renouveau de la musique folk avec Jean Carignan ou lors de ce concert organisé par André Gladu et filmé par Gilles Gosselin (La veillée des veillées, 1976), sans oublier la tournée californienne d’Harmonium !

On se retrouve avec plusieurs mouvements musicaux : Harmonium, Offenbach et Gerry Boulet qui vient presque à la fin. Tout ça est tributaire de l’évolution de la musique populaire. On est passé des chansonniers aux groupes rocks. C’est un catalogue musical qui n’est pas nécessairement celui que l’Histoire a retenu. Sur les 2000 films, il y a eu des découvertes fabuleuses, donc une profusion de choses utilisables. Je ne suis pas en manque et je n’ai pas besoin d’inventer ce qui n’existe pas. Mais en effet, il y a des trous. Des limites. Mais il s’agit de cinéastes qui ont parfois tourné leur film sur une longue durée : une période de sept ans ou cinq ou trois… Donc quand tu essaies de faire un éphéméride pour La part du diable, là ça pose le problème de savoir quand ça a été tourné. Un plan de forêt, c’est sans âge. Mais un futur premier ministre qui parle à des anglais, là il faut qu’il y ait une date…

la part du diable (Luc Bourdon, 2017)

Alors justement, est-ce qu’il est possible de faire mentir le temps ?

Le cinéma, c’est l’art du mensonge. Tout est mensonge, il n’y a de vérité que reconstituée. Sur un même événement, il y a autant de points de vue que de gens qui l’ont vu. Mais ici c’est un mensonge bien organisé même s’il y a probablement plein d’erreurs dans mon montage dont , par ignorance, je n’ai pas connaissance. Mais pour toute source, j’ai cherché à amoindrir la part d’aléatoire dans nos propres actions de montage. Essayer d’être proche de la réalité mais avec les cartes que j’avais en main. Je n’ai jamais cherché à colmater une période ou une séquence.

Donc d’où viennent ces images d’hommes politiques qui commentent la fin de l’aventure du FLQ et sont-elles bien en relation avec les événements comme s’ils les vivaient en direct ou pas forcément ?

J’avais peu ou pas d’images sur octobre 70. C’est une période qui a été censurée, évacuée. Je le sais depuis fort longtemps car déjà, dans les années 80, j’avais fait des recherches pour une production sur la crise d’octobre. J’ai fait le tour de toutes les télévisions privées ou d’État et étrangement - mais assurément pour des raisons politiques, tout avait été détruit. Quand j’ai travaillé à l’Office National, la première chose que j’ai cherchée, c’étaient des chutes sur Octobre 70. J’avais trois images ! Il me restait donc le film de Robin Spry Action, the october crisis of 1970 (1974), un anglophone très très proche des indépendantistes québécois et avec une cinématographie extraordinaire. Mais là ce sont des images qui ont été mille fois véhiculées.

Toute la trame narrative d’octobre 70 et du kidnapping a été inventée de toutes sortes de manières. La police qui perquisitionne, ça vient d’un film sur un poste de police dans le centre de Montréal, Station 10 (1973), un film aujourd’hui impossible à tourner au Canada. En France, Depardon a tourné des choses que je trouve exceptionnelles mais qui sont impensables en Amérique du Nord parce qu’il y a beaucoup trop d’interdictions. Ici, le cinéaste c’est Michael Scott. Il passe beaucoup de temps à suivre les inspecteurs et les agents dans leur quotidien. Le film est magistral parce qu’on se retrouve dans des lieux et face à des manières de faire qui aujourd’hui, avec la conscience qu’ils ont de l’image, n’apparaissent plus à l’écran parce qu’il s’organisent pour cela. Donc j’avais ce type de matériaux, empreint à nos yeux d’une grande naïveté, alors qu’ils allaient dans des lieux désormais interdits à toute caméra.

On pense avoir une très grande liberté mais notre rapport à l’image s’est complexifié, a évolué de façon exponentielle, proportionnellement au nombre d’images que l’on peut croiser. Nos regards mêmes et notre compréhension se sont aiguisés mais il y a aussi un reflux de la liberté de création et de regarder pour la caméra documentaire. Pas en fiction, bien qu’il reste des sujets tabous. Mais là les frontières ont nettement reculé. En documentaire, il nous reste beaucoup de territoires à couvrir, quand certains sont devenus interdits. Le droit à l’image est lui aussi devenu plus complexe.

Partout dans le monde, les années 70 sont le début de la société des loisirs avec ses cortèges de vacanciers qui vont remplacer les contestataires après la bataille. Ceux qu’on voit sont presque les mêmes que chez le Pierre Etaix de Pays de cocagne (1971), la partie « Elvis Graton »  de la société québécoise. Par le placement de la séquence, on peut le voir comme un déni de certaines questions ou même, de par cet étalage d’insouciance au moment même où tout pourrait basculer, comme une forme de violence.

Les images de la scène du camping viennent principalement du film La vraie vie (Jacques Vallée, 1971), tourné à Oka, aux porte de la banlieue de Montréal. On peut regarder de haut cette culture populaire. Nous on l’a trouvée vivifiante et on l’a embrassée à bras le corps. Elle permettait une pause parce qu’on essaie toujours de ne pas enchaîner les séquences selon un long fleuve tranquille. On joue plutôt du contraste. Bien sûr, un œil regarde tout ça avec un sourire en coin. Mais on ne veut pas imposer l’idée très complaisante de rire de ces gens là. Parce qu’en la regardant, on se dit « C’est nous ! ». Moi je l’ai vécu avec grand plaisir et je continue à le vivre. Je suis longtemps allé dans un camping familial avec mes enfants, pour cette belle possibilité de mixité sociale, sa retrouver dans un lieu multi-confessionnel et multi-origines. Autant pour mes garçons que pour moi, c’était un choc des cultures et des valeurs. On n’était pas en homogénéité avec notre propre tissu social mais avec toutes sortes de gens qui n’avaient pas la même vie que nous. Ce camping de La vraie vie - le titre le dit bien - était très proche de ce qu’on faisait et il proposait un regard dénué de jugement sur toute cette faune. On a laissé bien des moments de côté - on ne fait que l’effleurer – mais le film lui, va beaucoup plus en profondeur pour nous immerger dans ce camping dont on peut reconnaître tous les acteurs du quotidien : le propriétaire, certains campeurs, certaines familles, la pizza qui arrive. Qu’on s’y fasse livrer de la pizza, ça nous fait beaucoup rire. Certains croiront peut-être qu’on juge ces gens là, mais pour nous ça montre où on en était en tant que civilisation. La preuve, ça se fait encore et Uber fait des ravages à Montréal. Je connais des gens qui regardent des œuvres sur Netflix et se font livrer du pop corn pour se mettre dans l’ambiance. On en est rendu à un point critique et vraiment dommageable pour tous. 

La part du diable (Luc Bourdon, 2017)

On l’a évoqué tout à l’heure, cette décennie nous a aussi enseigné que les femmes aspiraient à changer leur condition… exprimée ici dans cet enchaînement entre un groupe de majorettes et une séquence de chasse. (rires) La collection est quand même importante : Les filles du Roy (Anne-Claire Poirier, 1974), De mère en fille (Anne-Claire Poirier, 1969), Les filles c’est pas pareil (Hélène Girard, 1974)

Cette collection avait en effet frappé l’imaginaire et est depuis passée dans l’Histoire. C’était aussi une lutte des femmes pour prendre leur place dans notre cinématographie. Il n’en a pas tant que ça, à peine vingt titres sur 320, une infime minorité. J’espère qu’aujourd’hui on va arriver à 50-50 si un jour je devais faire un autre film sur ce qu’on vit maintenant. Donc j’avais cherché des traces et c’est là que je tombe sur le fameux plan avec Micheline Lanctôt dans une des premières fictions Souris, tu m’inquiètes (Aimée Danis, 1973). Les séquences de fiction sont boiteuses, les dialogues lourds, la caméra, le montage, tout… C’est une parodie de fiction ! Ça parle d’une femme qui veut s’affranchir de son rôle de mère de famille et de femme au foyer pour pouvoir accéder au monde du travail. Tout tourne autour de ça jusqu’au moment où elle se rend compte que son mari n’adhère pas à son projet et qu’en plus on la réduit à une condition de servante dans des emplois insignifiants. Elle décide alors de tout quitter et de partir vivre ailleurs et ça se finit comme ça. Au niveau du processus cinématographique, tout le film est inintéressant, un peu comme tout premier film de n’importe quel cinéaste où ça roule carré ou presque. Enfin, il y a quand même des génies ! Mais soudain dans ce film, apparaît cette scène extraordinaire avec Micheline Lanctôt et qui n’est pas tournée comme le reste. J’ai vite l’intuition qu’il s’agit d’une improvisation réalisée en cours de tournage pour définir qui est cette femme. J’ai demandé à Sylvia qui s’occupait des droits de l’ensemble des intervenants, de poser la question à Micheline Lanctôt, dans quel contexte ça avait été fait. C’était bien le cas ! Là, son personnage sonnait plus juste, comme sorti d’un documentaire où parlerait une femme du peuple, bien qu’il s’agisse d’une future très grande comédienne doublée d’une excellente réalisatrice. Dans ce monologue de 5mn20, sans coupe, elle crève l’écran. Même s’il n’en reste qu’1mn30, c’est à la fois fascinant et emblématique de la position des femmes à ce moment précis.

On a le sentiment qu’on pourrait ne faire qu’écouter le film. Comment Catherine van der Donkt a -t-elle travaillé cette bande sonore ? Est-ce que le son raconte la même histoire que l’image ?

Non, la valeur du son est indépendante de l’image et en cours de montage, toutes les ponctuations sont importantes pour nous. Quand on lui livre le film, Catherine s’occupe du nettoyage sonore, de l’aspect technique et ensuite des ponctuations. Ce n’est pas la première fois que je travaillais avec elle puisqu’elle aussi est une amie. Quand je lui ai livré le matériel, elle m’a dit qu’il n’y avait rien à faire et que tout était déjà calé, tout en sachant qu’on pouvait aller encore plus loin. C’est un peu comme une pizza, tu as la pâte, la sauce, les ingrédients. Là, je la voulais bien garnie. « Vas-y, ponctue, rajoute, tout ce que tu veux y mettre... » On verra bien au mixage la route à prendre. Sur La mémoire des anges, Sylvain Bellemare - qui a depuis reçu un oscar ! (deux oscars, pour Premier contact de Denis Villeneuve ) - m’avait demandé mon budget pour le bruitage… « J’ai recyclé les images, tu recycles aussi le son ! ».

Quand Catherine est arrivée, on n’en a même pas discuté, je lui en ai laissé la liberté et elle a fait du bruitage. Elle a pris ses outils pour faire de la ponctuation, ce qui a beaucoup apporté. En fait, tout le film a été composé en termes musicaux, avec beaucoup de bruits, beaucoup de dialogues, etc. Elle a rajouté une infime couche qui se ressent mais ne s’entend pas. Il y a toutes sortes de couches de son qu’un ingénieur du son doit connaître et qui permettent de faire voyager le son et de mettre des couches inaudibles afin d’avoir une enveloppe imperceptible mais qu’on ressent. De même qu’elle a joué avec la stéréophonie, elle a aussi redistribué à des moments très précis. On passe de la stéréo au mono ou au 5.1. Tout ceci et les autres paramètres ont été discutés avec l’autre ingénieur du son en charge du mixage, Jean-Paul Vialard et à cette étape là, je transmets ma baguette de chef d’orchestre à Catherine. Elle mène le bal car je ne suis pas un spécialiste et le mixage est une affaire de spécialistes ou je ne suis que spectateur et consultant. Je n’ai pas une position d’auteur par rapport à mon son. Je travaille avec une équipe qui me propose des avenues et à nous d’en discuter pour choisir tel ou tel chemin. Et quand Catherine me dit non, je l’écoute.

C’est exactement comme pour le cameraman avec qui je travaille, c’est son métier son médium et il en connaît mille fois plus que moi. Qui suis-je pour diriger un cameraman ou une créatrice sonore ? Elle, elle fait 25 films par an, alors que moi j’en fais un tous les trois ans ! Donc je fais en sorte de ne pas perdre le dialogue. Et si je ne sais pas, et bien je ne sais pas ! Je lui demande ce qu’elle ferait et là, elle me répond.

Luc Bourdon, 2019

Hors ces deux films et ceux déjà évoqués, y a-t-il d’autres sujets ou thématiques que vous avez exploré ?

Là je m’attaque au métro de Montréal… Par de merveilleux hasards, j’ai donc fait plein de films sur les institutions et leurs coulisses. Qu’est-ce que construire une bibliothèque ? Il faut savoir que durant toute la construction de la Grande bibliothèque, les médias étaient sur son dos et on n’en disait que du mal. Ils remettaient en question l’utilité même de sa construction. Et le jour de son ouverture, ça a été un engouement incroyable ! Toutes les résistances sont tombées du jour au lendemain alors qu’il y avait eu un blocage historique. À cause de l’Église et des curés, nous étions la seule région d’Amérique du Nord à avoir refusé d’avoir des bibliothèques, synonymes de littérature sacrilège. Le mal était dans les rayons des bibliothèques ! Alors quand monsieur Carneggie se promène de ville en ville en Amérique de Cleveland à New-York, de Saskatoon à Vancouver ou Toronto pour le Canada, en proposant de donner à chaque maire une bibliothèque, c’est à dire de la construire et de donner la collection de livres qui va l’habiter, tout le monde répond oui... sauf au Québec ! Les sulpiciens disent « Non, c’est dangereux !Un américain qui vient nous coloniser... » Alors ils ont bloqué le projet et ont refusé le don pour Montréal, Québec, etc... Ils ont construit la leur mais il n’y a avait aucun des ouvrages à l’index. Et il y en avait une panoplie ! Sartre était interdit au Québec, comme un paquet de grands classiques.

Pour revenir à ma carrière de documentariste, j’ai fait un paquet de tous petits films comme Manu rêva ou liés à de l’événementiel. J’ai toujours aimé faire de courtes vidéos de un à trois jours de montage. J’ai aussi monté toutes sortes de … (il hésite) de bric à brac (rire), parce que j’aime le montage et qu’il permet de s’amuser, de ne pas trop se prendre la tête. Je viens du cinéma d’abord et avant tout.

Pourtant j’avais lu quelque part que vous étiez d’abord un artiste vidéo…

Il a fallu que je passe par Vidéographe qui a une partie de ma collection. J’en ai fait plein ! Ça part aux oubliettes et franchement c’est pas plus mal. Le cinéma n’est pas éternel ! J’ai commencé par hasard, très jeune. J’ai été embauché de 14 à 21 ans dans la meilleure salle de cinéma du Québec, le cinéma d’art et d’essai l’Élysée. Il y avait deux salles. À l’âge de quinze ans, j’étais projectionniste. Ça a été, à mon corps défendant, mon université. J’y ai projeté les premières des plus grands : Ferreri, Fellini, Cassavetes… Je me rappelle tellement d’histoires de cinéma… Parce qu’évidemment, c’est un rapport avec les cinéphiles, mais aussi avec tout le milieu. Le jour de la première, les cinéastes venaient en cabine pour ajuster le son et la lumière et passaient des heures à faire des tests. Il y avait aussi la rencontre de la bande de critiques du samedi matin qui venaient se faire les dents. Il fallait rencontrer le censeur officiel du gouvernement qui venait donner sa côte sur les films, autrement dit un curé qui venait toujours avec un neveu différent, assez jeune et pubère, toutes les deux semaines. Comme quoi il avait une grande famille… (rires)

J’ai été très actif très jeune et j’ai commencé à faire du cinéma. Il y a eu une journée où je me retrouve en pleine nuit par -25° à tourner une scène de tempête de neige en forêt, donc à éclairer le sous-bois ce qui est un peu contre-nature. J’ai des problèmes avec le syndicat, des problèmes de financement, de comportement du réalisateur. Bref beaucoup de choses qui commencent à me faire douter de ce que je cherche à faire au cinéma. Durant une pause nocturne, j’essayais de parler avec les techniciens du dernier film que j’avais vu, un Godard et là un des gars me dit « Ah Luc, tu nous emmerdes avec tes histoires de cinéma ! ». Là j’ai décidé que j’en avais marre de cette industrie.

Au même moment, un ami s’en allait à Paris pour deux ans. Peu après son départ, j’ai décidé de prendre une caméra vidéo et de lui tourner une lettre vidéo pour lui donner des odeurs, des images des amis. J’en fais donc la tournée. Je tourne la journée et je monte le soir même. Et là je me retrouve avec une image actuelle et qui me parle. Certes avec une image imparfaite avec une profondeur de champ nulle, une définition de l’image nulle, un son déficient. Un banc de montage rudimentaire. En vidéo, tu faisais A, B, C, D et E. On ne pouvait pas intervertir en analogue, c’était compliqué et il fallait prier à chaque côte. Bref, la technique était archaïque et c’était galère de faire de la vidéo. Mais j’avais une immense liberté : mobilité, instantanéité, immédiateté, légèreté du médium, économies. C’est là que je suis tombé dans la sou-soupe vidéo, que je connaissais par ailleurs. Les premiers porta-packs... À quinze ans, je me suis retrouvé reporter-cameraman- journaliste d’une télévision communautaire qui a d’ailleurs fait date. Autant avec le Vidéographe que TVCL, je me suis retrouvé dans des lieux qui allaient devenir mythiques pour la vidéo ou la télévision communautaire, sans me rendre compte que j’étais en train de vivre quelque chose que peu d’autres personnes vivaient et que j’étais privilégié.

The story of Feniks and Abdullah (Luc Bourdon, 1988)

Quel regard portez-vous sur l’ensemble des pionniers qui via l’ONF, la coop vidéo de Montréal (les premiers films collectifs, le travail de Robert Morin…), des structures comme Vidéo femmes et donc de Vidéographe, ont fait du Québec un pôle de la création mondiale en vidéo ?

C’est la même famille. Ce sont tous des gens qui à l’époque participaient d’un même mouvement mais qui ne se connaissaient pas. J’ai commencé au festival du Nouveau cinéma. Ils avaient refusé mon premier 16mm qui s’appelait Apartés (1980) et que j’avais pu tourner grâce à la mort de mon père. Mon père m’a laissé un héritage, j’ai fait un film avec. Ce n’était sans doute pas la meilleure idée, mais c’était la seule affaire qui m’intéressait. Ma maman en était un peu déprimée (rire). Elle ne comprenait pas car mes frères eux ont acheté des maisons quand moi j’ai fait un film.

Je l’avais donc soumis au festival et ça n’a pas marché. En allant chercher la copie et voyant le chaos de la préparation du festival, j’ai proposé mon aide. Ils ne croyaient pas qu’à 21 ans je puisse avoir ma licence de projectionniste et sept ans d’expérience ! J’y suis vite devenu directeur technique pendant deux ans, également en charge de l’accueil et autres…

On a reçu Duras, Jarmusch, Wenders, tous ces grands noms qui venaient au café avec nous. Quand je revois la liste de gens que j’y ai connu, je me dis que ça a vraiment été une école extraordinaire pour les rencontres. Ils ont donc commencé à présenter de la vidéo, avec un film de Duras qui s’appelait Duras filme (1981), un portrait tourné par son fils Jean Mascolo. À l’époque, la technologie vidéo ne permettait pas de projections sur grand écran, seulement sur moniteur. Alors, ils ont pris d’autres films et installé tout ça dans le hall. Comme je faisais déjà de la vidéo avec PRIM et le Vidéographe, je trouvais ça très ingrat et je leur en ai fait part. Ils m’ont alors dit « ça t’intéresse toi la vidéo ? L’année prochaine, c’est toi qui va t’en occuper ».

Donc je travaillais au festival du Nouveau cinéma, j’y tournais des films. Je travaillais aussi chez PRIM, un collectif indépendant montréalais de production et de réalisation et au Vidéographe où je faisais aussi des films. Ne se connaissant pas, les deux groupes se méprisaient souverainement. Je me suis alors servi de ma position pour fédérer beaucoup plus, malgré cet esprit de chapelle qui sévissait dans chaque lieu. Pour la Coop, je les connais depuis 1981-82, vu qu’eux avaient commencé vers 1976-77.

Ils avaient déjà trouvé une reconnaissance au festival de Montbéliard ?

Non, ça c’est plus tard en 1988… En fait, en 1983-84, j’avais refusé les œuvres de la Coop vidéo au Festival du Nouveau Cinéma qui était plus expérimental à cette époque. Il faut dire que je n’avais pas encore tous les outils de compréhension et je n’y voyais pas quelque chose de novateur. Pourtant, ça y était ! Je ne voyais pas que j’avais moi aussi un esprit de chapelle : je ne cherchais que des œuvres expérimentales. Je faisais fausse route et passais à côté de l’expérimentation dans la cinématographie de Morin de cette époque. Je trouvais qu’il instrumentalisait ses sujets, était un peu méprisant et nous les faisait découvrir mais aussi pour qu’on puisse en rire. Je n’étais donc pas d’accord sur ce positionnement. Avec le temps, j’ai fait la paix et découvert d’autres aspects dans ses œuvres que je ne pouvais saisir au départ. C’est vraiment un grand maître. Il est intelligent et... malin ! Bref, à l’époque, tous ces gens s’ignoraient... Mais les choses ont évolué. De 1971 à 1991, l’espace occupé par la vidéo a été fulgurant. Maintenant, ça a disparu du paysage.

 

50 ans d'art vidéo (Luc Bourdon, 2013)

Pas tout à fait puisque vous avez réalisé un documentaire passionnant 50 ans d’art qui fait la part belle à dix ans de participation des artistes québécois au festival Instants donnés, festival d’art vidéo poétique et numérique de Marseille. Nicole Gingras y dit « on est tous passionnés, obsédés par la recherche, c’est notre oxygène ». Quelle est exactement l’importance de l’art vidéo dans la création contemporaine québécoise ?

Ça a évolué. Quand Robert Morin fait un film comme Petit Pow Pow Noël (2005), c’est comme faire du jazz et c’est comme ça qu’il le décrit. L’improvisation liée à l’instrument vidéo est tributaire de cette histoire de l’Art Vidéo. Pour imager cette disparition dont je parlais, comparons avec le Surréalisme. Le Surréalisme n’est pas mort, mais l’âge d’or du Surréalisme ? C’est son héritage qui est encore vivant, cette révolution numérique qui a pris le relais de l’Art Vidéo avec la démocratisation des outils de communication. Déjà, je l’ai denti en 1990. J’ai été invité pour faire un montage et le banc de montage était un Avid. La liberté technique de pouvoir retrouver le sens du montage qu’on avait au cinéma, celle de pouvoir intervertir, qui était impossible en vidéo analogue, s’ouvrait là soudainement. Toutes les qualités de l’art vidéo inhérentes à cet outil ont été dépassées. Quand on regarde aujourd’hui comment on travaille l’image, on voit que l’art vidéo en a été un jalon. Tout ça a fait des petits. Avant pour prendre une caméra, il fallait être cinéaste. La VHS et le DVD ont participé eux aussi de ce mouvement.

L’appropriation du cinéma par monsieur et madame tout le monde fait aussi que tout le monde peut devenir programmateur. Faire un choix, filmer, monter puis diffuser son film. On avait cet esprit là quand on faisait de la vidéo, par soucis de communication et parce que c’était économique. Il y avait l’idée d’accès. Les Centres d’artistes au Canada ont été financés - pas par la France mais par contre par la Belgique à travers les télévisions communautaires ou les centres d’accès. Qui comme leur nom l’indique permettaient l’accès à la technologie vidéo mais avaient beaucoup de limites. Alors, les gens de cinéma nous prenaient de haut et nous méprisaient. Ce qui est sûr, c’est que les gens qui sont passés par là en sont ressortis plus forts. Si tous ne sont pas devenus cinéastes, beaucoup ont poursuivi et mis à profit la révolution numérique. Il est évident que La mémoire des anges comme La part du diable sont issus de ma pratique vidéo. C’en est même du copié-collé. C’était la possibilité de reproduire quatre fois le même plan, ce qui est très difficile à faire au cinéma. En vidéo, c’était un jeu d’enfant. Par contre, il y avait des restrictions techniques épouvantables et tu ne pouvais pas commencer à intervertir les scènes en cours de montage. Mais tu pouvais copier, copier, copier...

Dans vos films d’art, il y a aussi une autre qualité, celle de l’écoute des artistes…

Ben, c’est un plaisir que de faire une entrevue. (rire) Moi je les épuise et j’adore ça. Pas comme interviewé mais comme intervieweur. Il n’y a rien d’inintéressant dans ce que je découvre. C’est après en salle de montage que tu choisis et que tu sélectionnes, mais je commence toujours en faisant le tour du jardin, jamais avec la question cruciale. Il y a tellement à apprendre dans la réaction humaine face à la caméra. Tout le travail consiste à ce que peu à peu il l’oublie. Le documentaire me fascine aussi parce que c’est comme mener une enquête sur une chose dont on n’est pas spécialiste au départ et qui t’oblige à le devenir sur un court laps de temps. C’est une étude sur chaque cas.

Mais ce qui me fait chaud au cœur, c’est quand les gens en viennent à oublier la caméra. À chaque fois que ça arrive, pour moi c’est clair qu’on a réussi à faire quelque chose ! Quand on arrête, qu’on remballe et que le sujet demande « C’est terminé ? Je vous avais complètement oublié » (rires), ça ça veut dire qu’on a réussi, ce qui n’était pas évident ! En entrevue, en documentaire d’art ou quoi que ce soit, il ne faut pas essayer de maîtriser le sujet. Il faut que tu l’éponges, point à la ligne. Mais n’essaie pas de diriger ça !

Il y a plein de trucs du métier, parce que les gens essaient toujours de bien paraître face à la caméra. Plein de trucs reviennent constamment, les mêmes réflexes, du genre : je pose la première question, la personne ne répond pas à la question mais c’est tellement préparé que la réponse dure 15 minutes et que toute l’entrevue que je voulais mener est entièrement résumée dans ces quinze premières minutes. Il s’essouffle et là je le laisse aller. Souvent mon cameraman comprend où on en est et arrête la caméra. Mais on joue comme si on était vraiment en train d’enregistrer. Après ça, on fait une pause et on lui fait boire de l’eau. Et là on commence le travail... On décortique point par point tout ce qu’il nous a dit. Les gens veulent bien paraître alors ils s’endimanchent, ils mentent. Dans le cabinet du psychanalyste que devient la salle de montage, on voit tout !

Florac, 2019

Pour conclure, il est dit dans Un musée dans la ville : « aller trop souvent dans les musées est une maladie ». Vous pensez vous guéri ou au contraire, toujours hanté par les images des autres ?

Je ne me sens pas malade. C’est encore une fois un privilège que de croiser les œuvres des autres. J’ai déjà été un cinéphile, puis j’ai levé le pieds ! Je ne culpabilise plus de ne pas tout voir. J’accepte simplement ce que je peux voir et je ne fais pas d’efforts pour reprendre tant que je vais encore croiser ces films que je n’ai pas eu le temps de voir. Je sais que je les verrai ailleurs et qu’ils n’auront pas tant vieilli que ça. J’ai donc fait la paix avec ça.

On me demande toujours quelle est la suite. Je n’ai jamais pensé faire une suite à La mémoire des anges. Ça s’est inscrit naturellement parce que Michel et moi, on était condamnés à en reparler. Le plaisir de poursuivre nos discussions a fait que ça s’est imposé dix ans plus tard, alors que deux ou trois ans après il n’en était pas question. Il faut se renouveler et ne pas toujours faire les mêmes choses même si, invariablement, (rire) je vois que je tourne en rond...

Entrevue réalisée en avril 2019 au festival 48 images seconde de Florac (France). Remerciements : Lorianne Dufour, Guillaume Sapin et Daniel Racine.

Autre(s) entrevue(s)

    Abonnez-vous à notre newsletter